L'arrivée du titre qui s'expose sur fond clairement typé fantastique voir film d'horreur avec pluie, temps maussade , arbre dénudé, aux branches tortueuses et croassements de corbeaux, annonce clairement les ténèbres prochaines.
Sans avoir lu le court roman de Kessel on peut d'entrée de jeu se permettre de penser que le film est bien plus dense, complexe et profond que le matériau d'origine car le scénario à la fois sombre et complexe de l'Armée des ombres laisse finalement une bien plus grande place à son ambiance, son suspens et sa tension palpable ainsi qu'à ses perosnnages qu'au background WW2 en arrière-plan à peine développé (voir pas du tout) qui ne forme qu'une toile de fond prétexte à explorer les abysses de l'âme humaine en temps de crise ,de complots, d'espionnage et de trahisons où les causes finissent par s'assombrir jusqu'à perdre leurs hérauts dans un abyme de noirceur dont aucun ne réchappe ou presque. il faut voir cette longue introduction où tout nous échappe , perdu dans un traitement qui nous laisse sur le carreau mais qui nous tient en haleine. L'armée des ombres est un film très prenant qui ne distille son univers qu'au fil de longues minutes car la mise en scène prend son temps avec une vraie délicatesse, toutefois glaciale. Mais imperturbable.
Jean-Pierre Melville signe ici un film d'une maitrise visuelle absolument incroyable où le format d'origine 1.85 se révèle ici d'une justesse presque hypnotique (qui permet aux environnements et intérieurs d'être shooté sous hauts angles) surtout grâce à la remasterisation incroyable du dvd. Le grain qui confère l’authenticité et qui "appuie" légérement les teintes dépressives qui ne lâchent à aucune moment le film comme pour souligner le voile grisâtre permanent qui maintient sa position au-dessus de la France comme une métaphore des évènements tragiques qui s'y jouent. Techniquement, on a là un film certainement précurseur par la précision des travellings et la composition des plans. On a même une caméra qui s'engouffre dans une cellule (le petit truc vu 1000 x depuis). La matière est donc de premier ordre avec notamment un casting 5 étoiles qui voit tous ceux qui le consolident s'investir dans leurs personnages. Aucun dialogue ne sonne faux, l’interprétation est solennel, bourrée de tension et l'émotion point même le bout de son nez à plusieurs reprise (le final....). Le WW2 est à peine évoquée et il est très rare de voir des pétarades. Tout au plus entendons nous quelques explosions et flash de lumière dans la nuit et quelques avisons dans le ciel obscure mais l'histoire tend justement à nous montrer une autre facette des résistants. Ici, pas de front mais du renseignement. Film cérébral, l'Armée des Ombres est une leçon de cinéma à plusieurs niveaux , surtout dans la tension que Melville contracte au possible (les faux infirmiers venus chercher Félix , la longue intro jusqu’au barbier, dans l'avion, le peloton d’exécution...) .
Melville signe une oeuvre puissante et finalement pessimiste où les "héros" , ceux-là même auxquels le spectateur français (ou tout court) devrait identifier finit par en être dégouté : les actes de la Résistance ne sont qu'un reflet de ce que les Nazis font subir aux deux prisonniers (on ne voit rien mais les blessures laissent largement au public le soin de s’imaginer ce qui s'est passé) et le Mal combat par le Mal pour faire simple. L'âme et les valeurs sont violées au profit de la réussite et de la sauvegarde d'un combat mener en sous-marin. L’ Armée des Ombres ne définit d'ailleurs pas l'armée Allemande mais l'armée de notre plus profonde caverne primitive, celle qui fait passer la survie avant la compassion. Le film ne juge pas mais constate juste. Le scénario est un peu complexe et il est parfois difficile de comprendre le combat que mène ces hommes. Tout comme certains "chambaras" où le background japonais n'est jamais expliqué ni même évoqué, il peut être difficile pour un étranger de comprendre ce qu'il voit à l'écran. Ce détail peut gêner l'immersion dans ce film d'une noirceur incroyable où la voix-off en rajoute au côté littéraire du film (j'utilise ce terme pour montrer que l'écriture est sublimée par des lignes de textes sublimes certainement sortis du roman lui-même). Ce procédé rajoute une couche d'épaisseur axu personnages (surtout Lino Venura) et aide à l'identification, à l'empathie. L'armée des ombres signe un constat amère : les sentiments et l'a^me se perdent en chemin mais ne disparaissent jamais totalement. Pour cela, la froideur d'un tel film est d'une pertinence louable.
Pour ma part, c'est de loin le meileur film français vu à ce jour par son professionnalisme et sa froideur totalement cohérente au sujet (la photographie est d'ailleurs très froide). Simone Signoret est très charismatique et son personnage qui prend part avec hardiesse à la Résistance renforce la qualité du film. Non ce n'est pas uniquement un monde d'hommes.
Pour les influences les plus majeures certains ont bien cernés la chose mais on sent clairement que pleins de plans et de travellings ou d'ambiance sont issus de l'univers de ce film (ou de la filmo du cinéaste tout court).