Videodrome
9/101983, David Cronenberg signe avec Vidéodrome un véritable brulot contre les dérives du petit écran. Fantasme horrifique, étude sociologique ou panorama d’une société en manque de chair fraiche, Vidéodrome est tout cela à la fois se plaisant à malmener le spectateur à maintes occasions. Il est incroyable de constater que le propos du film n’a pas pris une ride et que 27 ans auparavant, le réalisateur canadien avait bien anticipé le besoin de violence d’une audience en quête de spectaculaire.
L’histoire raconte donc la lente descente aux enfers de Max Renn, producteur bis minable, qui découvre un programme, proche du snuff movie, aux conséquences tant psychiques que physiques irréversibles.
Traitant le film sous l’angle du film fantastique à tendance malsaine, Cronenberg signe là son film le plus charnel. Cinéaste de la douleur par excellence, il se plait à mélanger les corps malmenés avec ce téléviseur, objet de tous les fantasmes (les éléments de la TV sont en permanence assimilables à des orifices sexuels). L’homme vit en permanence aux cotés de son téléviseur et s’abreuve de ce qu’il peut lui donner. C’est par le prisme de cette relation très ambiguë que Vidéodrome bâti son histoire. James Woods, omnibulé par le sensationnalisme, semble prêt à renoncer à tout pour percer le secret d’un programme inédit pouvant radicalement changer la face du monde télévisuel. Tour à tour torturé, manipulé, obsédé et finalement totalement attiré, le personnage de Max ne va faire plus qu’un avec la machine afin de savoir ce qui se passe derrière ce terrible programme. Coté réalisation, le film est correct mais touche au sublimement déroutant dès qu’il déroule ses formidables SFX visqueux et organiques. Le bide de James Woods, les morts plus que douloureuses nous renvoient constamment à la sphère Cronenberg ou la mort est toujours sale, ou la chair est tailladée, trouée, malmenée. Les maquillages de Rick Baker sont encore sidérants et provoque même quelques haut le cœur tant la sensation de douleur est palpable à l’écran.
Souvent incompréhensible par certains aspects, le film exerce une vraie attraction malsaine, celle là même qui guide Max vers Vidéodrome.; Le réalisateur a réussit ce petit miracle d’identification qui fait que l’on comprend tout à fait la lente descente de Max Renn. Les images sont crues, violentes, glauques mais il est impossible de détourner son regard. Ovni avec un vrai discours à tiroirs, Vidéodrome s’inscrit logiquement dans la filmographie de Cronenberg surfant sur une dimension sexuelle en permanence lié aux supplices de la chair. Le personnage de Deborah Harry symbolise à merveille cette approche et vampirise le film, même si on ne la voit que sporadiquement. Elle est en quelque sorte l’émanation des tourments et fantasmes du réalisateur. Vendu injustement comme un film d’horreur lambda (au même titre qu’un Scanners), le film de Cronenberg est évidemment beaucoup plus que ça et s’affirme avec l’âge comme un miroir inoxydable de nos vraies pulsions, celle de bêtes avides de spectacles morbides teintés de violence extrême. La seule chose qui nous démarque de l’animal pur et qui manquera à Max Renn, c’est le libre arbitre de pouvoir décider de dire non à ce type de programme. Beaucoup plus riche que la philosophie de comptoir que je viens de développer, Vidéodrome est un film qui se découvre à chaque visionnage et dont la construction intellectuelle bouge en permanence. Le film n’est jamais figé proposant des bribes d’explication au fil des redécouvertes. Il faudra bien sur passer au-delà de l’aspect graphique, qui pourra en rebuter certains, afin d’en saisir la vraie teneur. Même encore maintenant, j’avoue ne pas avoir tout compris mais je reste encore et toujours captivé par cette histoire et par la richesse des thématiques déployées.
Titillant le chef d’œuvre Faux semblants, je ne suis pas loin de penser que Vidéodrome est l’œuvre la plus dense du réalisateur canadien. De plus, le film est dominé par un James Woods incandescent. Pour moi, c’est juste l’un des meilleurs acteurs du monde, injustement utilisé dans beaucoup de films, se permettant d’alterner un cabotinage toujours à la limite et un vrai jeu d’acteur réellement imprégné de ses personnages. Chef d’œuvre absolu de noirceur, Vidéodrome est à visionner d’urgence pour tous ceux qui n’aurait pas peur d’y découvrir que l’horreur malsaine a un vrai pouvoir d’attraction et que nous sommes tous finalement un peu malades !