Après une série de films contemporains, Sam Peckinpah retourne au western, bien qu'il n'ait jamais réellement quitté le fil directeur qui guide, me semble-t-il, toute son oeuvre : d'une part, le caractère inhospitalier et la haine de l'homme domestiqué du monde moderne, et d'autre part, le sentiment nostalgique de la nature sauvage de l'Ouest et de l'individu qui s'y trouvait. Or, les deux personnages du film
Pat Garrett et Billy the Kid ne sont qu'une pure et simple déclinaison de cette alternative.
Ainsi, nous nous retrouvons de nouveau à l'époque finissante de l'Ouest, cette période où le monde était en train de changer. Une phrase résume à elle seule le caractère de Billy the Kid : "le monde change, moi pas". Pat Garrett, qui est son poursuivant, exactement comme le fut l'ancien acolyte dans la
Horde sauvage, est contraint à faire ce job, pour prendre sa retraite sans heurts ni tracas. Leurs styles de vie sont ainsi symétriquement opposés : l'un erre d'un petit boulot à l'autre, souriant à la vie et face à la mort (le sourire est selon moi l'une des marques de fabriques du réalisateur : ce sourire désespéré qui est une pure adéquation à ce qu'on est envers et contre tout, malgré le risque d'une prompte mort), jouissant de ce que la vie peut simplement lui apporter, tandis que l'autre a une maison à lui, obéit aux ordres du Gouverneur et des grands propriétaires qui veulent clôturer, délimiter les terres, et ainsi empêcher toute liberté individuelle de s'exprimer en harmonie avec la nature. Le rythme du film est très particulier : balayé par la magnifique musique de Bob Dylan ayant une résonance comparable à celle de
Keoma, il prend son temps, exhibant la nonchalance de Billy qui exprime son absence de peur de la mort, alors que Pat n'est pas pressé de retrouver sa proie. Il ne s'agit pas d'une chasse à l'homme classique, qui doit être rapidement menée à terme, par respect de la loi ou par amour de l'argent (d'ailleurs Pat refusera qu'on le paye plus que d'habitude). Et pour cause : ces deux hommes sont identiques, derniers témoins de l'Ouest sauvage, leur unique différence résidant en l'acceptation ou la résignation de ce qu'ils sont sincèrement : la mort de Billy représenterait donc la partie de vie qui palpite encore en Pat.
Alors que la violence dans
La horde sauvage était presque réjouissante malgré son côté sec et sans concessions, ici elle est souvent accompagnée d'une sourde tristesse, affranchissant l'essence de l'Ouest de quelques-uns de ses fervents activistes, à l'image de ce couple de mexicains dont la mort de l'un d'eux fait vraiment mal au coeur. Ils n'apparaissent que pendant quelques plans et pourtant ils prennent une importance insensée à l'écran. Les duels sont parsemés et peu nombreux, souvent injustes dans cette chasse à l'homme quasiment sans enjeux : l'honneur n'est plus qu'une blague, et seule la survie compte, la capture des hors-la-loi n'ayant d'intérêt que pour les "puissants" de la région, car de leur côté, les villageois, autrement dit le peuple, est très heureux de la présence de Billy, et l'aide même après sa libération sanglante : est-ce parce qu'il est l'un des derniers hommes authentiques de l'Ouest ? De son côté, alors que Pat était anciennement habitué à la vie sauvage, celle-ci lui apparaîtra hostile après la tentative ratée de jouer avec l'un de ses habitants en tirant sur une bouteille de verre, contrastant avec l'ambiance décontractée du jeu du début, bien que celui-ci annonçait déjà une traque à l'homme impitoyable par le biais d'un montage alterné très bien pensé. Enfin, j'ai l'impression que chaque mort est relative à la vie vécue, souvent suivie par un court discours résumant en peu de mots le désir d'un paradis terrestre avorté, ou une attitude lui correspondant. Par conséquent, chaque mort, même celle de vauriens, prend une dimension quasi métaphysique, une cristallisation de ce qu'ils ont été dans leur vie passée.
Ainsi, ce western sonne quasiment comme un testament existentialiste sur le trépas de l'Ouest, représenté par ces deux hommes, l'un vivant et mourant comme il a toujours vécu, insouciant et authentique, et l'autre poussé par une justice en laquelle il ne croît pas, rattrapé par la modernité qui le tue petit à petit en esprit alors que paradoxalement il va lui survivre physiquement (il retrouvera un peu de sa vitalité en "empruntant" la vie de son ancien partenaire Billy, dans le repaire de ce dernier), du moins temporairement comme en témoigne l'introduction : aucune ligne de fuite possible pour les derniers cow-boys, malgré leurs efforts de ne pas mourir avec l'Ouest. En outre, la justice est vraiment à géométrie variable, affirmant à la fois son hypocrisie et son absurdité : peu importe l'origine des individus qui sont employés pour la fonction de shérif, seule compte la ligne séparatrice entre ceux qui vivent selon leur propre loi individuelle, et la loi des politiciens et des grands propriétaires.
En conclusion, je trouve ce film un peu moins passionnant que la
Horde sauvage. En effet l'histoire est beaucoup plus épurée que ce dernier, moins riche en thèmes, ce qui n'est pas forcément un mal, mais par contre, ce qui en constituait la partie calme devient ici la partie essentielle, répétée à l'infini, pouvant créer une légère lassitude par moments, malgré l'émotion et la présence qui se dégagent de chacun des personnages du film, y compris les plus mineurs : même les scènes d'action sont parfaitement intégrées dans ce rythme lancinant, mortuaire, signe qu'il ne s'agit vraiment pas d'une chasse à l'homme classique comme je l'ai déjà dit. Cette différence de rythme pourrait créer deux clans, deux préférences entre les deux films de Peckinpah. Ainsi, selon moi, le "poids" du film tient surtout au charisme de ces deux "héros", qui portent en eux un rapport diffèrent à l'Ouest finissant, s'accrochant à la fois désespérément et joyeusement à ses derniers vestiges (Billy) ou bien au contraire évoluant avec son époque en se niant soi-même (Pat). En plus du casting exceptionnel et de son interprétation, la photographie, en parfaite adéquation avec l'une des plus belles musiques qu'il m'ait été donné d'entendre dans le genre de la country, est l'autre point fort du film : elle nous dépeint un western quasi crépusculaire (il y a un renversement des valeurs héroïques ou morales du héros traditionnel du western, mais sans cynisme, contrairement à ce genre) au sens primaire du terme, par ses couleurs tirant sur le rouge, et son cadre souvent contemplatif, élégiaque.