Seize ans après, Shintaro Katsu a voulu revenir sur le personnage qui l'a rendu célèbre, véritable double du cinéaste. Mais il ne s'agit pas vraiment d'un point final à la saga, arrêtée définitivement à la suite d'un accident pendant le tournage : son fils a tué un cascadeur avec un vrai sabre. Il faudra donc se contenter de ce
Zatoïchi 26, qui est à la fois une suite assez logique des épisodes précédents, et un retour rétrospectif sur toute la saga, par le biais de plusieurs de ses personnages récurrents. Il s'agit donc de l'un des films les plus riches de la saga, dont le sens ne se laisse pas capturer au premier venu.
Zatoïchi : insensible au monde ... ?A l'instar de
Zatoïchi and the doomed man, notre héros commence son aventure en prison, vieilli et usé par la vie, même plus capable de répondre aux humiliations de ses camarades. Il agit en autiste, image qu'il traîne depuis
Le voyage à Shiobara : nous revoyons ainsi plus tard la scène de la feuille que le masseur aveugle essaie de coincer avec son bâton, image de son passé qu'il essaie d'isoler du reste, le laissant à l'écart du monde extérieur. En effet, celui-ci ne l'atteint plus directement, à l'image de la prison dans laquelle il a vécu qui a épaissit sa coquille. Seules quelques personnes lui font quelque effet, mirages de sa vie passée, qui éveillent des choses importantes qu'il a vécues au cours de sa vie d'errance.
Cependant, le monde continue à tourner autour de lui, dont le pouvoir, lieu-commun de la série, est tenu entre les mains des yakuzas, orientés vers deux directions complètement opposées, le passé et le présent, et finiront ainsi par s'affronter dans une guerre sanglante. Le fusil est le symbole de cette passation de pouvoir : « Un fusil antique est toujours ce qu’il est. Un homme lui ne fait que vieillir ». Le monde appartient donc à ceux qui possèdent la technologie moderne, et perdent en retour le véritable sens du code d'honneur de leur caste, qui consiste à ne pas faire alliance avec les officiels. Le jeu de pouvoir qui s'y prête renvoie bien évidemment à la condition vieillissante de Zatoïchi, dont les valeurs sont en train de mourir avec lui.
Deux visions du mondeFace à ce monde en mutation, Zatoïchi rencontre un prisonnier qui a été enfermé à cause de ses idées réformatrices, réminiscence du yakuza dans
Le Justicier. En écho à son discours, une femme yakuza, chef de son clan, et qui a protégé Zatoïchi lors d'une rixe, affirme ironiquement que la justice existera vraiment seulement lorsque le juge et le bandit pourront s'asseoir à la même table. Le masseur aveugle préfère visiblement cette dernière version. En effet, elle incarne pour lui la femme idéale : elle est d'abord en adoration de son fameux discours prononcé à Lioka dans le
Masseur aveugle, véritable leitmotiv de la saga, qu'il lance en pleine face des yakuzas pour leur rappeler leur condition de bandits qui leur interdit tout compromission avec le pouvoir, et la sienne propre qui le pousse à l'errance. D'autre part, elle agit en femme d'honneur comme l'a prouvé son action précédente. Ensuite, elle lui rappelle sa mère : elle a le même âge que cette dernière lorsqu'il a perdu la vue. Enfin, on pourrait rajouter qu'elle n'a besoin d'aucune aide : elle ne représente pas la figure de victime que Zatoïchi protège habituellement pendant ses errances, et qui semblait jusqu'à lors rattachée principalement aux femmes. Bref, elle est la seule avec qui Zatoïchi peut accepter de se mélanger, concentrant toutes les qualités précitées.
Zatoïchi essayant de maîtriser son passé, et donc son destinIl rencontre une autre femme, qui non seulement lui rappelle sa mère, mais également sa nourrice qui élevait des orphelins dans
Le voyage à Shiobara. Ainsi, Zatoïchi devient comme l'un d'eux, dans un véritable cocon familial auquel il participe aux tâches ménagères. Probablement sa scène la plus heureuse du film. Elle lui affirme une phrase très importante, faisant écho à la feuille qu'il essayait de figer et donc à son destin : "une feuille
doit haïr le vent". Autrement dit, il doit prendre en main son destin.
Ainsi, il est logique qu'il réponde à l'horreur dont fait l'objet cette femme qui incarne la fragilité et l'innocence à ses yeux, et qui sera témoin d'une scène d'exécution ignoble par un yakuza dont le pouvoir lui est monté à la tête. S'ensuit un climax qui explose dans une violence et une bestialité jamais atteintes depuis le tout début. La légende reprend le dessus, juste le temps que les clans des yakuzas soit anéantis, pour laisser place à la joie en liesse des villageois qui peuvent enfin vivre à leur guise, sans avoir peur de leurs oppresseurs.
D'autre part, Zatoïchi rencontre un samouraï, à la solde de l'un des clans, qui évoque l'amitié de courte durée rencontrée dans
Le masseur aveugle. Il est le premier à s'intéresser réellement à son handicap, en l'interrogeant sur ses difficultés, et en en capturant la beauté en lui peignant un portrait.
La fin du film, ouverte, sonne de manière heureuse comme une fin de saga sans l'être véritablement en fait. Deux figures optimistes se mettent en travers de l'enfermement de Zatoïchi dans son passé : l'idéaliste réformateur rencontré au début qui au lieu de révolutionner le monde, se contente d'agir à son niveau en s'occupant d'un cortège d'aveugles comme lui, et la femme yakuza qui marche dignement sur le chemin tout en restant discrète, modèle d'une caste dont l'avenir est encore incertain. Au milieu, Zatoïchi accepte son destin contre le samouraï. Quelle sera la voie du masseur aveugle, en avant ou en arrière de sa vie ?
RéalisationShintaro Katsu reprend la charte esthétique qu'il avait élaboré dans sa précédente participation à la saga,
La blessure, en accentuant encore davantage le réalisme du film, tout en conférant une violence encore plus saisissante lors des combats, avec mutilations et geysers de sang à gogo.
La force de la narration peut aussi être paradoxalement sa faiblesse : en multipliant les références aux épisodes précédents, ce film ne s'adresse absolument pas aux néophytes de la saga, mais à ceux qui la connaissent bien. Ainsi, les apparentes errances du masseur aveugle acquiert tout leur sens, en reconquête de son passé et donc de son futur.
Tous les personnages, sans exception, sont bien développés. La durée du film, inhabituelle pour la saga, est ainsi tirée à profit.
La musique est assez particulière, mixte du thème de la série avec des morceaux reflétant la pop de l'époque. Personnellement, elle ne fait pas partie de mes favorites, trop moderne par rapport à ce type de film.