Il s'agit de l'unique participation de Satsuo Yamamoto à la série, qui apporte réellement sa patte, puisqu'il s'agit de l'histoire la plus complexe à ce jour, et sa dimension politique prend des proportions proches de celle d'un Kobayashi, alors qu'elle demeurait bien plus simple jusqu'à présent, se résumant aux motifs personnels de Zatoïchi. D'autre part, il s'agit d'un tournant important, car il s'agit de la première production de Shintaro Katsu, l'acteur qui interprète Zatoïchi : ce dernier accepte enfin son destin, et sa condition sociale de yakuza. Néanmoins, cet épisode demeure cohérent par rapport aux précédents, puisqu'il en reprend les ingrédients classiques tels que les yakuzas pourris jusqu'à la moelle, les jeux, et les combats, et surtout la thématique centrale de cet épisode, celle de la justification de la violence et donc du port du sabre, qui fait partie inhérente du personnage depuis le tout début.
Un "nouveau" Zatoïchi La première scène reprend son caractère parabolique : elle insiste sur la dextérité de Zatoïchi, habile comme pas deux, ici au tir à l'arc, comme dans
Zatoïchi and the doomed man. Ensuite, ses pas croisent la route d'un mystérieux justicier (un yakuza en fait, que je nommerai simplement "justicier" pour le distinguer) qui se bat à main nues, prônant la non-violence, puis un fief de paysans chantant une drôle de chanson qui insiste sur des principes vertueux dans la continuité du message de cet homme. Pour Zatoïchi, ce n'est pas un endroit à fréquenter. En quelques scènes, le personnage est donc posé : il ne s'agit plus du Zatoïchi qui dominait les épisodes précédents, torturé entre sa quête de quiétude et ses déviances personnelles. Avec cette simple chanson et la rencontre avec ce justicier, tous les défauts du masseur aveugle sont mis en avant : boire, aller voir les prostituées, se bagarrer, jouer. C'est comme s'il avait pleinement accepté son statut de tueur vagabond, pris dans un équilibre ambigü entre bien et mal. La seule chose qui le distingue d'un simple tueur, c'est la destinée de son coup de sabre, les profiteurs et les méchants. Mais nous allons voir que ce ne sera pas si simple pour lui.
Une histoire apparemment classique ... mais qui ne l'est pasZatoïchi pénètre ensuite au centre du fief, un village, pour pratiquer ses activités préférées, décrites au-dessus. Mais peu à peu, le masseur aveugle est relégué au second plan, pour mettre en avant une intrigue aux multiples enjeux qui dépasse largement le simple destin de ce personnage, et qui pour la toute première fois, possède un background historique. Contrairement à tous les autres films de la série, et je pense particulièrement au précédent,
Cane sword, ce débordement du personnage principal vers des personnages périphériques est intéressant, bien conçu, et apporte une dimension dramatique toute particulière. L'intrigue commence pourtant de manière apparemment classique. Deux clans de Yakuzas se font une guerre territoriale, aux principes radicalement opposés. L'un remplit les caisses par les jeux truqués, tandis que l'autre est le protecteur des paysans, allant jusqu'à payer les dettes de ces derniers. Un troisième individu, le justicier dont j'ai parlé, agit sous la responsabilité du protecteur des paysans en leur inculquant, en plus des bonnes méthodes d'agriculture, des principes de vie basés sur la non-violence. D'autres personnages gravitent autour d'eux, dont quelques-uns qui veulent s'engager comme membres du clan. Touché par la situation des paysans, Zatoïchi va essayer d'apporter un équilibre à ce conflit à la pointe de son sabre.
Ce qui rend l'histoire si intéressante, c'est son déroulement narratif. En effet, après avoir laissé le village entre les mains du "gentil" clan apparemment au service des paysans, Zatoïchi quitte l'endroit pour faire son travail de masseur ailleurs. Il ne sera d'ailleurs pas toujours bien reçu, histoire de nous rappeler qu'il est détesté des voyants comme des non-voyants. Pour marquer la rupture avec ce qu'il s'est passé et donc la continuité de l'errance, un chant de Zatoïchi ponctue ce temps. Mais peu de temps après, un paysan du village qu'il a quitté précédemment essaie de le tuer pour se venger de ce qu'il a fait : le "gentil" chef a trompé son peuple, et est devenu aussi mauvais voire pire (par exemple les paysans se mettent à se suicider car ils n'arrivent plus à payer leurs dettes) que son prédécesseur, simple jouet de l'Intendant, et ses principes de justice détruits par l'argent et le pouvoir. Il a même enfermé le justicier car par sa "bonne parole", il pourrait pousser les paysans à la révolte. Cela montre qu'il vaut mieux un bon et mauvais chef car au moins il y a un pouvoir en équilibre, plutôt qu'un seul, qui même animé par des principes justes, peut rapidement se laisser corrompre par les avantages du pouvoir absolu. Ensuite, le rôle du justicier me fait penser au chef des Yakuzas qui ressemblait à un Robin des bois dans
Mort ou vif (selon moi la plus grosse inspiration de ce film, avec la sensibilité politique du réalisateur, communiste), sauf qu'il n'agit pas indirectement au profit des villageois comme ce dernier, mais au contraire est un ferment actif au sein de la population, qui est donc elle-même capable de se révolter, alors que d'habitude elle laisse toujours les justiciers de tout genre faire le sale boulot, dont le paroxysme a été atteint selon moi dans
Zatoichi’s Pilgrimage.
L'articulation des principes de violence et de non-violenceSelon moi, il y a au moins trois retournements de situation majeurs au court du récit.
D'abord, lorsque Zatoïchi tue par accident un innocent engagé dans le "mauvais" clan qui visait à spolier les paysans. Cet acte remet en question la légitimité du port du sabre, comme dans
The blind's swordman vengeance. Les positions du justicier dont j'ai parlé plus haut et de Zatoïchi sont très différentes à ce sujet. Tous les deux sont hors-la-loi aux yeux de la hiérarchie, en quoi ils sont semblables, comme en témoigne leur religion basée sur le soleil et les bienfaits de la nature, comme au tout début de
Zatoïchi's revenge : leurs principes moraux ne dépendent donc pas d'un code d'honneur (même si le justicier est également respectueux de la vraie règle des yakuzas consistant à protéger les paysans, mais ce n'est pas contradictoire avec ses croyances, bien au contraire puisque les paysans sont serviteurs des bienfaits de la terre produits grâce au soleil) ou de la loi, mais de ce que la nature leur montre. Cela explique aussi pourquoi ils sont tous les deux si proches des paysans ou des laissés pour compte. Par contre leurs méthodes diffèrent entièrement sur la forme. Pour le justicier, la violence fait boire la terre de sang : c'est contre-nature, impur. Alors que pour Zatoïchi, la violence est nécessaire pour punir les méchants, mais malheureusement il est aussi aveugle, et donc les accidents peuvent se produire, ce qui fait partie de sa malédiction personnelle (par exemple, à cause de lui, une femme a du se prostituer car il a tué son mari, l'homme dont j'ai parlé au début du paragraphe).
Ensuite, lorsque Zatoïchi apprend que le chef de clan sur lequel il comptait tant et qu'il a aidé à établir l'a finalement trahi. Je trouve que la réflexion du bien et du mal auquel se prête Zatoïchi fait écho à
Zatoïchi's Pilgrimage, qui distinguait les mauvais qui avaient le visage d'homme mauvais, et les bons qui paraissent comme tels mais qui agissent rarement selon le bien. Or, cette distinction est ici remise en question de manière assez jouissive. En effet, il existe aussi les personnes aux doubles visages, y compris au niveau du coeur, ce que Zatoïchi perçoit habituellement si bien grâce à son handicap qui l'oblige à utiliser ses autres facultés à un niveau supérieur. A l'arrière-plan, il y a donc une critique radicale de la structure féodale à l'image d'un film comme
Rébellion : la réforme ne peut provenir d'en haut, mais seulement d'en bas.
C'est ce qui va se vérifier dans le climax, l'un des plus forts, au niveau dramatique, que j'ai vu. Après que Zatoïchi a réglé son compte au nouveau chef, les villageois le portent jusqu'à l'escorte du justicier en partance pour son exécution à mort. Ainsi les deux principes se réalisent dans une synthèse d'une beauté effrayante : Zatoïchi est utilisé comme simple instrument de mort pour libérer le justicier amoureux de la paix. Mais ainsi, ne sont-ils pas deux formes de justiciers complémentaires, l'un accomplissant la "justice naturelle", et l'autre la protégeant ? Et je voudrais enfin ajouter qu'il s'agit de l'épisode le plus violent graphiquement, enchaînant amputations, décapitations, histoire de montrer que cette forme de justice n'est possible que si quelqu'un se salit les mains, et nourrit la terre de sang.
RéalisationJe la trouve relativement classique dans l'ensemble, mise à part un combat sous la pluie qui a probablement inspiré Takeshi Kitano pour sa version de
Zatoïchi, et la surimpression de deux plans, l'un montrant la folie gagnée par le deuxième chef de clan, tandis que l'autre montre la détresse des paysans qui en font les frais (une idée déjà utilisé dans
Mort ou vif). Mais je signale la participation de Shinatoro Katsu au chant (il était chanteur et musicien dans sa carrière, à côté de ses activités au cinéma). Ce qui est surtout remarquable, c'est l'intelligence du récit que j'ai suffisamment soulignée, et la présence du gore plus marquée, sans atteindre les excès de
Baby Cart. Par contre, la musique plombe parfois un peu l'ambiance déjà bien chargée en drames : je trouve qu'il manque une petite touche d'humour dans l'ensemble.