Deuxième participation successive de Kazuo Ikehiro à la série des Zatoïchi après
Mort ou vif, je la trouve bien plus convaincante que dans ce dernier. Ce film paraît raconter une histoire classique à travers ses histoires de clans, mais en fait recycle de manière innovante les codes de la série, contrairement à
Sur la route, qui se contentait de reprendre les thèmes et la réalisation des opus précédents, sans rien proposer de nouveau.
Une introduction humoristiqueDès le début le ton est lancé : Zatoïchi est embêté par des mouches se posant sur lui, et utilise donc son sabre à la manière d'un tape-mouches. Derrière l'apparence humoristique du masseur aveugle, le terrible sabreur est là, efficace comme jamais. On ne peut s'empêcher de penser à ses futures victimes qui tomberont comme telles. L'action est donc en semence, et explosera dans un climax inattendu de violence baroque.
Un désir de reconnaissanceComme à son habitude, Zatoïchi est poursuivi, cette fois-ci par un seul homme, possédant non pas un sabre mais un fusil. Première rupture avec la série : il fait mouche du premier coup, mettant fin à son invincibilité légendaire. On découvrira peu après qu'il s'agit d'un yakuza en quête de gloire. Le masseur aveugle est alors secouru par plusieurs personnes. Son unique motivation sera de retrouver ses bienfaiteurs pour les remercier de l'avoir sauvé, mettant fin à la satisfaction d'un besoin de reconnaissance personnelle ou d'une série maudite dans laquelle il était entraîné contre son gré, se retrouvant toujours au milieu d'une histoire malhonnête à l'issue de laquelle il devait survivre par le sabre et en découvrir les tenants et aboutissants à l'aveuglette. Autrement dit, il est à présent uniquement mû par un désir de reconnaissance envers ses sauveurs. Ainsi, il reprend sa route, guilleret, rempli de gratitude envers la vie, offrant même des friandises à des enfants qui d'habitude l'insultent et cherchent ainsi à l'aider, mais le masseur ne les croit pas et tombe maladroitement dans un trou : malgré son sursaut de joie, il ne sait pas encore à qui faire confiance, et il demeure aussi le masseur aveugle, l'individu vulnérable aux événements extérieurs.
Des personnages secondaires importants Il retrouve ensuite ses deux bienfaiteurs, successivement un fabriquant de feux d'artifices et l'une des filles du clan local de yakuzas. Il s'agit de deux personnages très importants pour la narration.
L'artificier est intéressant d'abord parce qu'il est sourd, produisant un contraste avec le propre handicap de Zatoïchi. Leurs discussions sont ainsi assez drôles et décalées. Mais aussi parce qu'en faisant sa rencontre, outre le besoin de reconnaissance, le masseur aveugle souhaite assister aux feux d'artifices. Cet élément anodin crée l'unité de temps du film.
La femme est importante pour trois raisons. Ironiquement, elle est la soeur du yakuza qui a pris en chasse Zatoïchi : ses qualités altruistes contrastent avec la quête égoïste de son frère en quête d'honneurs. Ensuite, son clan est au milieu d'un conflit d'intérêts avec un autre clan, ce qui deviendra l'histoire principale. Enfin, elle est de nouveau l'objet d'une relation affective avec Zatoïchi, sauf que cette fois-ci, elle est désamorcée de façon comique à chaque fois : dans une discussion qui s'annonçait bien, il termine ses mots dans le vide, puis au lieu de demander poliment qu'on le serve, il mange comme un porc, mettant un gros coup à son pouvoir de séduction.
Une classique histoire de clans, mais dont les clichés habituels sont étirés à l'extrêmePour revenir à cette histoire de clans, elle est très classique dans la série des Zatoïchi et dans le film de samouraïs en général. Mais pour une fois, chacun de ces groupes est admirablement décrit, bien que peut-être un peu trop opposés l'un à l'autre dans le principe. On dirait que le réalisateur veut pousser les clichés jusqu'au bout. Par contre, ce qui change, c'est que Zatoïchi se retrouve dans le "bon" clan, et donc il n'est pas utilisé comme instrument de pouvoir. Il est simplement l'hôte de la maison. Autrement dit, il est à l'écart de l'action (sauf ceux qui le cherchent délibérément, à chaque fois le clan adverse, dans une scène de kendo puis une autre dans l'eau, comme s'il ne voulait pas que les effets de la violence rejaillissent à la surface), cherchant seulement à remercier cette femme qui l'a sauvé en entretenant la maison ou bien en récupérant son frère qui se retrouve bêtement entre les mains de l'autre clan.
Quelques mots sur ces deux clans et ce fils aîné. Le clan ennemi respire la tromperie et le calcul. Cette propension au crime est parfaitement exprimée par leur chef, ayant une passion pour le jeu d'échecs. Paradoxalement il aime les jeux de calcul mais pas les jeux plus ludiques : il déteste les jeux gratuits (dans les deux sens, à savoir au niveau de l'argent et celui du "temps perdu"), mais n'aime que ceux qui lui donnent du pouvoir ou une récompense. Son bégaiement est un caractère physique exprimant son dégoût des négociations et son double-jeu ignoble. A l'issu de ce jeu, Zatoïchi ne sera pas un atout, mais au contraire un handicap, car il représente la faille à l'intérieur de la perfection du respect des règles. A l'inverse, l'adversaire du "mauvais" clan, qui est le maître de la maison dans laquelle réside Zatoïchi, est respectueux des règles des Yakuza (et il ne connaissait pas l'identité du masseur aveugle, sinon je pense qu'il l'aurait fichu dehors) : respectueux des lois, et serviable à l'égard de son peuple sans le prendre de haut ou lui soutirer des choses plus que de raison. Il est tellement bon, qu'il ne soupçonne même pas le jeu de son adversaire, qui le manipule comme l'une de ses pièces d'échec. Son fils a malheureusement pris le pli du chef du clan adverse en recherche de fausses valeurs (gloire, pouvoir, reconnaissance), paradoxalement à l'origine du déclin de son clan dans son désir de redorer le blason de son clan : s'il n'était pas présent, Zatoïchi ne serait pas venu, et il ne se serait pas jeté entre les mailles du filet de l'adversaire, donnant ainsi à chaque fois l'avantage à ce dernier.
Un climax de folieJ'arrive enfin au climax, qui est l'un des plus beaux que j'ai pu voir dans un Zatoïchi, à la fois originalement posé et superbement filmé. Une fois que les dés ont été faits, il a été mis à l'écart par le clan qui l'a hébergé, car sa présence pouvait le plonger dans le déshonneur. L'histoire aurait pu se terminer là, à l'image d'un plan présentant Zatoïchi, marchant en direction du soleil couchant, comme dans certains des épisodes précédents. Mais la soudaine interruption du bruit des feux d'artifices lui fait prendre conscience qu'un drame est arrivé. Se déclenche alors en lui une violence qu'on ne connaissait pas chez lui, et qui jaillit pour la toute première fois de l'histoire à l'écran. Les plans s'enchaînent dans une beauté bestiale, massacrant ses adversaires à tout va, tuant à contre-champ, soufflant les bougies à l'aide de son sabre (cette scène sera reprise dans
Les tambours de la colère), en en gardant seulement une sur le sabre pour éclairer sa future victime, donnant un aspect absolument lugubre à la chose. Enfin, le toit ouvert permet aux feux d'artifices qui ont repris depuis le retour de Zatoïchi, d'éclairer le visage de ce dernier de rouge à la manière d'un véritable démon assoiffé de vengeance. Le spectacle de joie qui était prévu à la base contraste avec ce combat qui est tout sauf amusant. Pour une fois, pas de départ en fanfare ou en berne, mais un plan fixe sur ce visage regagné par la folie meurtrière.