Bah quoi dire à part que , à l'instar d'un City of Life and death, War Horse raconte une histoire que traversent plusieurs personnages dont 2 seulement sont vraiment au centre du récit : le cheval que chacun veut garder et soigner mais le destin de l'animal provoque inéluctablement des adieux souvent tragiques (la mort de l'officier, la petite fille dont on apprend plus tard la mort, les deux frères fusillés...Ce qui sépare donc le cheval de ses protecteurs le rapproche au fur et à mesure de son fidèle et premier compagnon) . De sa première amitié (amour ? car au final, là où ce genre d'histoire est propice à tisser des love story courantes et classiques, le scénario met de côté la seule jeune femme charmée par le jeune agriculteur et son cheval pour se concentrer sur la relation au centre du film entre l'animal et son dresseur). Eastwood avait réalisé un dyptique qui confrontait deux traitements radicalement opposés (et certainement du jamais vu dans l'histoire du cinéma) et avec War Horse, on est sensiblement dans le même concept: le cheval passe d'un camp à un autre et il y croise des êtres devenus froids et insensibles, des jeunes idéalistes généreux et altruistes, des vieux sages vivants paisiblement à la campagne et dissimulant au plus profond d'eux-mêmes un lourd passé et une petite fille têtue mais lucide et rêveuse... Ici nous pointerons le premier défaut du film : les langues. tout le monde parle anglais. L'authenticité est donc amoindrie mais heureusement, Spielberg force le respect par sa manière de ne pas appuyer les différences: dans le film il est parfois difficile de savoir si l'on est dans le camp allemand ou dans le camp british. Loin de tout manichéisme , War Horse signe au contraire une des œuvres les plus neutres, humanistes et impartiales qui soient et ce n'est pas la scène amusante mais touchante des deux soldats qui aident le cheval pris dans les barbelés qui viendra contredire ce constat. Le côté "Joyeux Noël" meet "Soldat ryan" meet l"’Étalon Noir" est très plaisant et permet au film ses plus grands moments.
Le cheval poursuit sa route malgré lui et fait de son mieux tout en courant après sa liberté ce qui ne lui épargne rien: War Horse est un pur parcours initiatique où la guerre n'est pas la seule toile de fond mais aussi la vie champêtre et le commerce durant son introduction. 14-18 est là pour surligner évidement le côté passage à l'âge adulte (du cheval et du garçon). Forcément le film dresse le classique bilan du courage, de la loyauté, d'amitié etc...mais Spielberg n’hésite pas à instaurer un subtil fossé entre la niaiserie inhérente à ce genre de projet qu'il balaye par la guerre et des petits atouts techniques subtilement placés (le moulin qui censure les deux ados fusillés mais c'est tellement bien pensé et si bien shooté (ça fait très film de mafia/gansgter ce putain de plan de nuit éclairé par les phares) qu'on s'en tape royalement de ce petit tour : le film est tout public et c'est par ce genre de plans que Spielberg dénonce son talent immense : comme la scène de la charge sur le camp : une fois dans les bois et leurs mitraillettes armées, les Allemands tirent sur les cavaliers et c’est par quelques plans furtifs que l'on comprend que le second maitre du cheval est mort puisque l'on voit Joey galoper selle nue dans les bois ou encore la fin et le grand-père qui répond à la question "Où est votre petite fille? " La guerre prend tout"..)Joey fuit littéralement la guerre mais travaille dur et épargne les plus faibles de leur dur besogne (il se met clairement en avant pour tracter l'artillerie afin d'empêcher le cheval noir d'en souffrir).
La violence est bien présente au niveau du traitement infligé aux chevaux : tout est tellement criant de vérité (merci les animaux live et le dressage incroyable évidement couplé à un sens de la mise en scène et du montage très savant) qu'on a parfois la larme à l’œil et la chair de poules (les sabots qui raclent le sol sous l'effort de l'artillerie lourde que Joey tracte le long d'un dénivelé boueux, le cheval en prise aux barbelés, la mort du cheval noir... ). Ce n'est pas sanguinolent mais l'aspect, la réalisation et les suggestions sont frappantes. Spielberg use encore du hors-champ à plusieurs moments : la talent monstre derrière la caméra permet de laisser passer autant d’émotions que si les scènes charnières étaient plein champ.
La photographie du film devrait logiquement rafler un Oscar tant elle est d'une richesse imparable : des pâturages verdoyants découpés sur ce ciel d'un bleu pur magnifique que viennent égayer quelques cumulus immaculés majestueux, le film s'enfonce de plus en plus dans les teintes boueuses de la guerre et les plans sont souvent somptueux malgré cette crasse : Spielberg abuse même des mouvements de caméras assez amples qui finissent souvent en contre-plongées... Le travail du chef op Janusz Kamiński est impérial comme toujours et prouve lui aussi l’éclectisme flagrant avec lequel il manipule son métier à l'instar du cinéaste avec lequel il travaille depuis 1993 . Comme toujours la chorégraphie/direction des figurants est toujours top et les trois gros morceaux de bravoures du film sont à tomber: le cheval véloce galopant avec rage à travers le No man's land des tranchées est très court mais c'est d'une intensité et d'une maitrise cinématographique qui frôle la perfection tout comme la charge des soldats britanniques dans ces mêmes tranchées (les effets sonores sont énormes). La charge de cavalerie est encore une fois une scène relativement courte mais c'est tellement puissant
Le background 14-18 n'est pas développé et c'est tant mieux: tout le monde le connait et ce n'est pas le but de cette histoire. Les humains rencontrés par le cheval ne sont que de passage dans sa vie mais ont une véritable importance car si tout se délie, tout se relie par la suite pour en arriver au final et les retrouvailles des deux amis : le destin est scellé - et même la fin est picturalement un peu trop forcée au niveau des couleurs, des contrastes et de l'émotion -c'est très beau de voir ce cheval regarder au loin , contemplant pourquoi pas le chemin qu'il a parcourut après tout se foutoir , dans lequel il était, de par sa nature, dans l’incapacité de juger, de blâmer ou de se venger d'un camp ou de l'autre: des hommes l'ont aimés et l'ont protégés et cela suffit à accepter le reste comme un contrepoids forgeant l'être dans son entier et c'est en cela que les dernières images ne doivent pas être mal interprétées : ici, Spielberg veut surligner au maximum ce fameux retour à la maison du soldat, aà ses origines , ses terres, sa famille et à la paix originelle qu'il connue enfant , désormais adulte malgré lui par la noirceur la plus abyssale que l'Homme côtoie en temps de guerre. A la différence du père devenu alcoolique, le jeune homme ne sombrera pas à cause de cette guerre car il a aussi vu l'opposé de cette noirceur: le courage, l'amitié , des actes de désespoirs forcément animés par la bonté, la compassion et l'amour ; cet amour même qui le lie à son cheval et qui ne l'a pas quitté, animant donc l'Espoir .
Forcément, le film n'a pas d'acteurs principaux marquants car aucun n'a plus de 15-20 min à l'écran mais le casting est tout de même excellent. Peter Mullan certainement le meilleur du film avec Niels Arestrup. Sur les 5 storylines, seule celle des jeunes frères du camp allemand est un peu moins émouvante que le reste mais le scénario parvient à restituer ce qu'il faut pour ne pas que le film soit désincarné : au contraire, en 2h27 on a le temps de s'attacher à entités à peine développées. il suffit d'un dialogue, d'un regard, qu'un geste et le cœur est percé de milles flèches. John Williams aidant, sa compo ne mérite pas pour autant la palem de sa carrière mais certains morceaux sont mémorables de par leur utilisation (la course effrénée du cheval ou le canon tracté). On retrouve des passages de la soundtrack de la Guerre des Mondes par exemple (pour la charge). 2h25 incroyablement faste où Spielberg met en scène un nouveau grand film d'aventure, humaniste et épique sans sombrer dans les SFX à outrance (de mémoire il y a très peu d'animatronique et une seule scène avec un trucage SFX (le saut raté par-dessus la tranchée et peut-être le saut par-dessus le tank : 2 plans). Techniquement à ranger dans le top 5 Spielberg, War Horse réussit ce tour de force d'être une adaptation fidèle du roman pourtant moyen tout en se permettent une véritable noirceur , plus subtile et profonde qu'on ne peut le penser au départ : après tout, la guerre arrive jusque dans un paysage d’apparence très paisible mais , avant même que la guerre n'atteigne le cœur des hommes , ceux-ci se chamaillent déjà à propos de terre et de chevaux dans des enchères pitoyables où chacun surenchérit bien plus pour "gagner" que par désir réel de ce qui se trouve au centre (on peut y voir de l'ironie et une petite critique sur le rapport à l'argent et la notion de propriété, celle-là même qui déclenchent les dites guerres).
Certes, le fond et même l’histoire sont très classiques, vu set revus mais Spielberg leurs offrent , pour le genre et la destination "tout public" prévus, un souffle épique grandiose et une émotion qui touche droit au cœur sans pour autant tomber dans la facilité : le cheval et ses réactions en disent bien assez : comme quoi même les animaux peuvent être compris sans paroles mais juste avec l'aide de la fameuse théorie "Koulechoff" (encore heureux que le réalisateur n'a pas choisit de les faire parler ou de nous faire entendre leurs pensées
). Après L'Ours de Jean-jacques Annaud, peut-être que War Horse peut devenir un des fleurons du film animalier.
A noter une scène assez chargée d'émotions (si on s'attache à ces personnages) : la dialogue grand-père/petite fille de nuit avec la guerre au loin, hors-champ , se reflétant sur leurs visages suite aux explosions éblouissants des obus.
Heatmann parlait de film "Costnerien" et c'est assez vrai.
Rien que certains morceaux rappellent du John Barry et l'amitié homme/animal renvoi parfois à celle de chaussette et Dunbar de Danse avec les Loups. On retrouve aussi pas mal de thèmes chers à Spielberg (l'enfance, la figure désillusionnée du père, le passage à l'âge adulte, la guerre et encore une fois les vrais héros ne sont pas des élites ou des spécialistes ou des pros mais des gens au rang social le plus faible ou presque, ici issus du milieu rural).
On pourra reprocher ce manque de profondeur des personnages et cet excellent casting sous-exploité mais au-delà de tout ça c'est un grand film faussement tout public mais porteur d'espoir, comme toujours chez Spielberg qui n'oublie pas de nous laisser un goût amer vu la route empruntée par ses personnages pour en arrivée au coucher de soleil final. (à noter la mort du meilleur ami du héros vite zappée et sur laquelle le cinéaste n’insiste pas brillante idée, bonne discrétion qui permet de ne pas se taper le genre de scène lourde et vu 15 000 fois avant : de plus le coup du gaz en tue un et rend l'autre aveugle : le fait de ne pas voir la suite est logique puisque cela colle avec la cécité momentanée du personnage). Toute ce qui fait la recette d'un grand Spielberg est là: héroïsme, conte, humour, spectacle, émotion...