CHEVAL DE GUERRE - Steven Spielberg (2012)
Il était une fois un réalisateur de 65 ans qui voyait le monde avec les yeux d'un enfant.
Après avoir utilisé les dernières technologies du cinéma pour donner vie à Tintin sur grand écran, Spielberg revient avec War Horse aux fondamentaux du cinéma traditionnel. En racontant l'histoire de Joey, un cheval qui va traverser les différentes batailles de la première guerre mondiale, il concrétise un projet qui rassemble la plupart de ses obsessions, mais il réussit surtout la symbiose incroyable entre les deux faces de sa personnalité créative.
A la fois grand spectacle familial et film de guerre d'une maturité rare, War Horse s'impose immédiatement comme un idéal de cinéma populaire. Un récit épique et profondément humaniste, où l'on suit le destin extraordinaire de ce cheval qui va croiser la route de différents propriétaires au cœur du conflit, le tout sous la forme d'un conte. On suit d'abord ce jeune cheval qui va être acheté par un agriculteur et dont le jeune fils Albert va s'occuper du dressage, laissant ainsi s'installer entre eux une amitié indéfectible.
Cette première partie, Spielberg la traite de la manière la plus classique et la moins cynique qui soit, en présentant cette famille dans la campagne anglaise du début du 20ème siècle. C'est d'ailleurs tout ce passage qui sera le plus critiqué par ceux qui reprochent à Spielberg d'être un grand naif au sentimentalisme exacerbé, tant il pousse son approche du récit sous la forme de fable au maximum. Tourné dans des décors naturels magnifiques, avec l'aide de son directeur photo fétiche Janusz Kaminski, il donne au film une patine magnifique, rappelant les grandes heures du Technicolor. Visuellement sublime, War Horse se distingue de tout ce qui se fait actuellement, un enchainement de plans magnifiques à la puissance évocatrice rare. Une mise en scène qui rend véritablement touchante et sincère la relation entre le jeune homme et l'animal, et qui va prendre une direction encore plus intéressante dés que le récit va vraiment démarrer. L'ensemble est accompagné d'une partition une nouvelle fois sublime du grand John Williams.
Une fois le cheval vendu à un général anglais pour partir sur le front, le film prend une toute autre tournure, et Spielberg n'hésite pas à montrer la guerre d'une manière assez cruelle pour un film grand public. Sans atteindre la violence du Soldat Ryan ou de Schindler, War Horse frappe par la puissance de ses images, où la mort n'épargne personne pas même les enfants (une scène exemplaire sur le plan technique et émotionnel) et où la candeur naïve de la première partie disparait totalement sous le poids du fatalisme et de l'horreur. La mise en scène virtuose de Spielberg prend alors toute son ampleur, mélangeant le style réaliste du Soldat Ryan à des travellings amples au découpage parfait. Un enchainement de morceaux de bravoure, notamment cette scène incroyable où Joey traverse le no man's land, qui prouve définitivement à ceux qui en doutaient encore que le bonhomme est un des plus grands. Une mise en scène qui peut paraitre d'une simplicité exemplaire alors qu'elle cache en fait des plans d'une incroyable complexité.
Mais il n'oublie pas pour autant son scénario et ses personnages, car même si le cheval reste le pivot de l'histoire, les humains sont tout aussi bien traités. Pour les interpréter,il s'est entouré d'un excellent casting où l'on retrouve entre autres Peter Mullan, Niels Arestrup, David Thewlis,Tom Hiddelston ou encore Benedict Cumberbatch (le Sherlock de la série BBC). Bien sur, on pourra toujours reprocher un certain manichéisme mais cela reste cohérent avec l'approche du film, qui ne se veut à aucun moment réaliste. Tous ces personnages participent à l'évolution du cheval au cœur du conflit, même si le jeune garçon qui l'a élevé garde une place prépondérante dans la dernière partie du film, puisqu'il se retrouve lui aussi sur le champ de bataille. Chacun fait avancer le récit et porte en lui une part de cette guerre, le cheval étant tour à tour détenu par les deux camps, mais aussi par une jeune fille française et son grand père. Au travers de ces personnages, Spielberg délivre un propos touchant et rempli d'espoir, parfaitement synthétisé dans la scène où deux soldats, un anglais et un allemand, font une courte trêve pour sauver Joey. Certains trouveront ça niais, c'est simplement beau et profondément humain.
En sept mois et avec un budget modeste au vu du résultat (65 millions qui paraissent le triple à l'écran), Spielberg signe une magnifique fresque humaniste d'une richesse incroyable, aussi bien visuelle que thématique. Un conte initiatique grandiose qui s'impose à mes yeux comme un classique instantané !
9/10