Drive
9/10Vendu comme le polar qui allait réinventer la face du genre, Drive est avant tout une splendide histoire d'amour parsemé de fulgurances sanglantes. Hormis quelques emprunts esthétiques à Michael Mann (la ville de nuit uniquement), le film n'a que l'enveloppe du polar crépusculaire. Le réalisateur s'attarde surtout sur la personnalité du driver, un gars quasiment mutique arrondissant ses fins de mois en bossant pour la mafia.
Alors, celui qui est venu voir du Fast and Furious à la sauce transporteur en sera pour ses frais puisque le film affiche ouvertement son statut de bluette dans le sens le plus noble du terme. Qu'on ne s'y trompe pas, la trogne des mafieux, le braquage qui fonctionne mal, la violence volontairement spectaculaire et crasse n’est là que pour accompagner le propos principal. Et c'est finalement toute la force de ce Drive, celle de prendre à contrepied à chaque instant tout recentrant le film sur cette liaison naissante compliquée entre le driver et sa voisine. L'alchimie fonctionne à merveille entre deux acteurs touchants. Carey Mulligan a, de façon générale, le don de me gonfler avec ses airs de vierge effarouchée mais ici elle apporte une touche de fragilité complétant et tranchant la personnalité bipolaire d'un Ryan Gosling énigmatique. Ce dernier est plutôt bon (pas de quoi le porter au pinacle pour un oscar!) capitalisant sur un regard à la fois magnétique et fragile teinté d'une folie latente à peine perceptible. Le voir céder à cette violence qui le dévore de l'intérieur est également un vrai plaisir.
Bien que très graphique, cette violence aussi inattendue que frontale n'est utilisée que pour apporter des compléments sur la personnalité du driver, nous aider à le comprendre et avancer avec lui dans cette histoire apparemment sans issue. Refn a en quelque sorte réussi l'alchimie parfaite entre l'amourette et le drame sanglant. Accablé par certains comme étant une jolie coquille vide, Drive se veut comme une démonstration visuelle (l'émergence officielle de Refn, on le savait doué doué depuis ces deux derniers films) mais aussi une réappropriation des codes du polar urbain. Ni documentaire comme le ferait un Friedkin, ni Shakespearien comme un James Gray, Refn trace sa route mixant des genres totalement antinomiques tout en imposant un rythme à l'image de son héros principal. Drive est lent, drive prend son temps comme pour mieux capter la fragilité latente de tous ses personnages. Il se raccroche aux codes du genre (des mafieux à fort belles gueules burinées, un casse foireux, des coups de shotguns méchants, une poursuite de caisse classieuse) pour mieux les adapter à la tonalité lancinante de son film. Tout est hypnotique, fragile (à l'image de la relation Mulligan/Gosling) dans une refonte totale du genre tout en s'ouvrant à d'autres horizons. La splendide scène de l'ascenseur est symptomatique de cette approche. Commencé par le baiser le plus attendu et le plus passionné de ces dernières années (Tain quand il la passe derrière lui! Merde on dirait une midinette
), la séquence bascule, avec un habile jeu de lumière, dans un tourbillon de coups (hors champ,
) faisant du driver la personnification bourrine du protecteur et du mari aimant prêt à tout.
L'introduction de Drive est également très intéressante puisqu'elle induit en erreur le spectateur tout en l'orientant vers la vraie nature du film. Au terme d'une haletante séquence (attention ce n’est toujours pas du Fast!), Refn désamorce d'emblée son concept. Vendu comme l'histoire d'un cascadeur qui bosse pour des mafieux, Drive déglingue le postulat au terme d'une très tendue séquence nocturne (le score aide bien!) ou l'on se rapprocherait dans l'esprit de la tension Friedkinienne de la poursuite sur le freeway de Live and Die). Après ça, il faudra oublier le concept de polar pour en accepter certaines réminiscences au service d'une tonalité diamétralement différente. Comme pour coïncider avec son univers si particulier, le film se pare d'une BO 80's à tendance électro magnifique rendant hommage à la puissance émotionnelle de certains passages mais aussi à la réalisation posée et classieuse de Refn. Le "Oh mye love" inondant la partie revenge nocturne de la fin est tout simplement époustouflant, magnifiant un climax jugé au départ très classique. Le film mérite clairement son prix de la mise en scène et n'est finalement pas cette coquille vide que l'on peut entendre ça et là. Drive est un exercice compliqué, celui d'avoir le culot de proposer une autre grammaire d'un genre balisé tout en l'adaptant à une vraie histoire d'amour prenant vraiment aux tripes.
Le film de Refn est un vrai concentré de cinéma puisqu'il puise ses influences d'un bon paquet de polars tout en les digérant et proposant une histoire s'éloignant toujours plus des codes du genre, prenant en permanence à contresens le spectateur. Que ce soit donc bien clair, Drive n'est et ne sera pas le polar urbain du siècle, il est avant tout l'histoire d'amour la plus magnétique et la plus jolie qui ait été confectionnée depuis belle lurette. Pour le reste, c'est tout! Qu'on arrête d'en faire un représentant du genre et que l'on laisse ce rôle là à French Connection!