Hideo Gosha, pour la première fois de sa carrière, réalise un film noir teinté de fable sociale. Mais comme l'indique son titre anglais (
Cash calls hell), il effectue une énième variante autour de son
leitmotiv de l'époque, à savoir les conséquences de l'argent sur les valeurs humaines de ses personnages. Ainsi, un homme condamné pour le meurtre accidentel d'une fillette et de son père, se retrouve, hors de prison, à effectuer une mission dont il ne connaît ni les tenants ni les aboutissements. Un comportement qu'on pourrait taxer de naïveté, si ce personnage en quête de rédemption n'était pas aussi bien porté par Tatsuya Nakadai qui nous dévoile, encore une fois, l'étendue de son talent, en incarnant, avec sa gueule d'anges aux motifs ambigus, un humain tiraillé par des sentiments complexes, révélant tout à la fois une sensibilité pénétrante (ce que viendra renforcer la rencontre imprévue d'une petite orpheline toute mimi) et une culpabilité palpable. Ainsi, est-il déjà damné ou peut-il encore se purifier de ses actes passés ?
En dépit de cette prémisse alléchante, j'avoue que le fil de l'intrigue m'a moins captivé à la révision, comme si Hideo Gosha prenait plus de temps à étoffer ses personnages et l'ambiance qui les enveloppe, au détriment de la narration, trop prévisible à la longue. C'était pourtant mal parti du côté de la réalisation avec une introduction sous forme de négatif photo non seulement illisible mais inutile (le mystère ne tiendra pas bien longtemps), mais heureusement l'esthétique s'en tire mieux ensuite avec une belle reprise des codes du genre, en nous faisant visiter les bas-fonds d'un Japon alors en pleine reconstruction, à l'image de ces individus au bord de la misère et de la désillusion. En plus de cela, grâce à la superbe musique jazzie de Masaru Sato et de l'apparition quasi fantomatique des membres d'un gang qui semblent toujours avoir un tour d'avance sur Nakadai, on nous propose là une ambiance mélancolique et poisseuse à souhait, le tout formant un cadre idéal pour cette lutte existentielle pour l'âme.
Même si ce film ne parvient pas à tout instant à éviter l'écueil du sentimentalisme qui le guette (la présence de la fillette, toute mimi soit-elle, n'arrange pas les choses), on ne peut qu'être surpris par la tournure des évènements, puisque ces rencontres qui devaient au départ salir, encore, les mains du personnage de Nakadai, semblent se résoudre d'elles-mêmes par l'entremise de la drôle de providence que représentent ces bad guys surgissant de nulle part. C'est selon moi ce qui fait la richesse du film en dépit d'un fil directeur un peu trop
light dévoilant trop vite ses cartes. Ainsi, en reprenant à son compte les codes d'un genre auquel il se prête pour la première fois, Gosha parvient à donner une nouvelle résonance à son oeuvre qui décidément place l'humain (face à son côté sombre) au coeur de ses obsessions, bien qu'on ne retrouve pas, à regret, la subtilité du portrait psychologique des
Trois samourais hors-la-loi, avec un Nakadai qui, malgré ses beaux efforts, manque d'apporter suffisamment de contraste à son personnage en quête de repentance. Et le final, malgré l'ironie qui le marque, manque aussi un peu de mordant. En l'état, malgré ces défauts, il s'agit quand même d'un beau et profond drame existentiel assez unique dans la filmo de Gosha.
Note : 7/10