L'ORDRE ET LA MORALE-------------------------------------------
Mathieu Kassovitz (2011) |
8/10 Film remarquable dans le panorama français actuel, l'ordre et la morale est un film bienvenue dont l'identité forte et particulière ressemble finalement à son réalisateur : une ambition très louable mais quelques maladresses dans la démonstration.
Faire ce film, éminemment politique car traitant d'une bavure militaire, n'a pas dû être un projet facile. Loin de là. Car Kassovitz se base sur le livre de Philippe Legorjus, un récit autobiographique et polémique. Il y incarne ce capitaine du GIGN, dépêché avec ses hommes pour débloquer une prise d'otages sur l'île d'Ouvéa. En même temps qu'il découvre la complexité de la situation et des faits, il va vite se voir propulser soldat d'une guerre improvisée entre les feux croisés des indépendantistes Kanak aux abois et une politique décisionnelle pressée par les élections présidentielles. Le film suit donc les efforts de ce capitaine, entre adaptation et médiation, en égrainant le compte à rebours des jours avant l'assaut inéluctable, évoqué dès les premières images. Il se débat comme il peut sans trouver sa place (il bouge dans tous les sens), navigant au gré de l'obéissance militaire, l'ordre, et la réflexion éthique, la morale. Et cet homme, le cul entre 2 chaises, n'arrivera jamais à renverser l'issue inéluctable du conflit.
L'ordre et la morale est donc un film original dans son traitement du conflit. Déjà de par son anti-héros, à la fois convaincu mais finalement impuissant et surtout dépassé par l'autorité. Le film fait un constat d'échec dû avant tout à l'absence de dialogue qui a mené à cette situation, de l'empressement des décisions, sans pour autant pointer du doigt des actes ou des hommes en particulier. Le film peut donc s'avérer rébarbatif car Kassovitz ne cède pas au spectaculaire et prend le temps de poser sa démonstration. Et il le fait avec sérieux. Les noms, les lieux, personnages, chronologie, sont décrits avec minutie. Et à ce réalisme se rajoute une réalisation assez austère qui ne cède jamais à l'exotisme. Il n'y a quasiment pas de musique et les personnages sont très sobres. Tout est fait pour renvoyer au réel, sans les artifices habituels du film de guerre.
Mais cette originalité dans le traitement, louable dans sa volonté de saper toute grandiloquence, en est aussi le principal défaut. Son film souffre d'un manque de profondeur et n'arrive pas suffisamment à restituer la dimension psychologique des personnages. Et il lui manque ce petit truc nécessaire d'un point de vue cinématographique, pour réellement être passionnant. Car même si les scènes sont plutôt bien torchées (avec pas mal de variété dans le cadrage, les plans, 2 longs plans séquence notamment bien foutus, et des ambiances de jungle bien rendues) et que la qualité globale du film est plutôt bonne (malgré quelques petits problèmes de rythme), le film n'a pas totalement l'envergure de son ambition. Malheureusement.
Malgré tout cette ambition est pour moi extrêmement louable et le film, malgré ses défauts, apparaît comme le fruit d'un énorme travail autant sur le scénario que sur la reconstitution. Car en évitant le tape à l’œil de la polémique, il livre un propos apaisé et assez brillant. Polémique qui aura pourtant fortement enrayé la réalisation de ce film, entre l'incompréhension des Kanak et le désistement de l'aide logistique de l'armée. Il constitue en tout cas une œuvre artistiquement notable et anti commerciale au possible dans un panorama français actuel qui privilégie les films rentables et démago. Il témoigne de la belle volonté de son réalisateur, contre vents et marées, de proposer une forme de cinéma intelligente et militante. Assez rare donc pour être souligné.