Le Doulos |
Réalisé par Jean-Pierre Melville
Avec Jean-Paul Belmondo, Serge Reggiani, Jean Desailly, Michel Piccoli, Aimé de March, Fabienne Dali Polar, France, 1h50- 1962 |
8,75/10 |
Résumé : Dès sa sortie de prison, Maurice Faugel se lance dans un nouveau cambriolage qu’il prépare avec l’aide de son ami Silien, que le milieu soupçonne d’être un indicateur de la police, un « doulos »…
Jean-Pierre Melville, le maître du polar français surfe sur les codes du film noir américain pour nous livrer une superbe adaptation du roman éponyme de Pierre Lesou. Le plus américain des cinéastes français, nous déclare son amour pour ce courant cinématographique qui connu son heure de gloire dans les années 40/50, en truffant son film de symboles : voitures américaines, décors intérieurs et paysages suburbains qui donnent l’impression que l’action se situe de l’autre côté de l’Atlantique (scène du réverbère qui rappelle le
Faucon Maltais, cabine téléphonique typique des mégalopoles américaines, barman qui sert du bourbon ou du scotch, manchettes et gros titres des journaux utilisés pour faire avancer l’intrigue, les night club s’appellent le
New York ou le
Cotton Club, le bureau du commissaire Clain est la réplique de celui de
City Streets, Chapeau mou et imperméable sont empruntés au
Philip Marlowe du
Grand Sommeil…), j’ajouterai que le personnage de Silien rappelle le
Dix Handley de
Asphalt Jungle avec une part d’ombre plus visible et que Faugel avec son air fatigué n’est pas très éloigné du
Tony le Stéphanois de
Jules Dassin.
La mise en scène de Melville, à l’opposé du réalisme, s’attache aux errances urbaines dans des paysages glacés et intemporels ou dans des décors nocturnes anachroniques (telle la maison gothique du receleur), elle s’accorde donc à merveille au style du Film noir avec ses ombres portées, ses gros plans sur des objets ou des mains, ses jeux de miroir, ses éclairages fabuleux qui magnifient un noir d’encre, ses effets de brume et ses visages dissimulés dans l’ombre. Autant d’artifices destinés à laisser le spectateur dans l’incertitude du prochain traquenard, à le perdre dans le dédale de fausses pistes concoctées par le scénario. Melville est aussi assurément le maître des séquences d’introduction et celle du Doulos ne fait pas exception à la règle, tant ce long travelling qui suit les déambulations de Faugel jusqu’à la demeure isolée de son receleur, est un modèle de perfection.
Le scénario du
Doulos dont la subtilité et la complexité, n’ont d’ailleurs rien à envier au
Grand Sommeil, nous plonge au cœur du jeu de dupes, de manipulations, de dissimulations et de meurtres qui anime le quotidien des bas-fonds. A travers l’histoire de ce « doulos », de cet informateur, le spectateur explore les relations flics/gangsters, ainsi que la mécanique du cambriolage (préparatifs et scène de l’hôtel particulier) ou encore celle du crime (scène du coffre) . Une ombre de mélancolie et un air de tragédie planent sur les personnages engagés dans un double jeu perpétuel entre loyauté, mensonges et trahisons. Une impression renforcée par la bande son jazzy de
Paul Misraki, aux accents lancinants et hypnotiques assez proche du style de
Bernard Hermann. Dans cet engrenage de violence et de fatalité, il n’y a guère d’autre choix que « mourir…ou mentir ».
Le Doulos est une œuvre peuplée de personnages solitaires même s’ils semblent cheminer ensemble pour un temps, qui pensent à tord être maîtres de leurs actes et de leur destin, mais un dernier coup du sort viendra changer la donne, dans un double flashback magistralement bien amené. En ce sens,
Le Doulos est véritablement un film noir pessimiste.
Comme souvent dans le cinéma de Melville, les personnages possèdent une réelle épaisseur. Tous sont profondément ambigus et sont superbement interprétés, même les seconds rôles (Jean Desailly, Michel Piccoli, René Lefèvre ou encore Aimé de March, Fabienne Dali, Monique Hennessy). En somme, la dualité des personnages s’accorde au jeu de dissimulation et de mort de l’intrigue. Belmondo est parfait dans le rôle de Silien, personnage taciturne qui obéit à sa propre éthique, mélange de loyauté, de supercherie et de violence. Serge Reggiani est tout simplement fabuleux dans le rôle de Faugel, usé, revanchard et bien plus roublard qu’il n’y paraît.
Quelle est la part de vérité et de mensonges dans chaque version de l’histoire ? A chacun de se faire sa propre opinion. Le Doulos est un superbe hommage au film noir, profondément ambigu et terriblement sombre.