Dead presidents
9/10Second film des frangins surdoués de l’image, Dead Presidents se présente, rien de moins, comme une relecture black du Deer Hunter de Michael Cimino. Avec le culot qui fait la marque des plus grands, les Hugues Bros en reprennent la structure principale tout en y ajoutant plus de rythme et la classe de leur réalisation, prouvant au passage que Menace 2 society n’était pas qu’un simple éclair de génie.
Le film va donc suivre le passage à l’âge adulte d’Anthony parti au Vietnam pour honorer sa patrie et de retour dans un pays se foutant royalement de lui, le poussant vers l’irréparable.
Brassant moults thématiques, le film se révèle beaucoup trop court. Les deux réalisateurs essaient de caser un maximum de sujets empêchant clairement le film de respirer. Devant une telle densité, le résultat se révèle parfois bancal à l’image de la partie sur le Vietnam beaucoup trop expédiée. On aurait aimé, par exemple, en savoir plus sur le personnage de Bookeem Woodbine trop cantonné à la personnification simpliste de l’horreur du conflit. En à peine une demi heure, les germes du drame social à venir sont survolées, un peu comme si tout avait été déjà dit sur cette guerre. Si c’était réellement le souhait des réalisateurs, il eu mieux valu une approche différente se distanciant complètement des codes du film de guerre. Toutefois, la vision du conflit par les Hugues n’atténue pas l’horreur et jette à la figure quelques plages très marquantes à l’image d’exactions fortement sanglantes (le coup de la tête gardée par Bokeem fout clairement un vrai malaise). Et puis on est quand même prêt à tout pardonner aux deux frères tant la richesse de leur réalisation éclabousse la péloche. De mouvements complexes en plans séquences de furieux, tout y passe avec une insolente maitrise.
Le film redevient plus lisible dans son déroulé lors du retour d’Anthony au pays. Les Hugues décident de se poser développant (ils prennent enfin leur temps) les problèmes de réinsertion (travail, famille, relation) des Vet’s avec simplicité sans jamais sombrer dans le misérabilisme qui avait un peu affecté le Born on 4th of July de Stone. Malgré tout, on n’échappe pas à certaines ellipses maladroites comme le rôle du pimp qui menace et disparait aussi vite qu’il est apparu. Soit ça sent les coupes à plein nez, soit les frangins ont fauté par péché d’orgueil. Ces petits écueils ne sont pas rédhibitoires et ne nuisent pas au déroulement de l’histoire. Ils passent même à la trappe dès lors que les réalisateurs font preuve de culot se permettant de d’imposer un autre genre, le film de casse (la scène de préparation est d’ailleurs un must absolu de réalisation, encore un !). Il s’agit d’ailleurs de la vraie force du film mais aussi de son défaut majeur. Car même si ce dernier peine à aller au fond des sujets abordés en à peine 120 minutes, il mixe avec aisance l’horreur du conflit avec le film de casse le tout saupoudré de drame social sans jamais plomber son rythme. Le holdup up du convoi est d’ailleurs la séquence la plus marquante du film avec une violence frontale percutante mettant à mal l’empathie que nous avions pour Anthony et ses potes. Mais au delà du drame qui se joue sous nos yeux, la séquence impose sa puissance par le biais d’un rythme nerveux, maitrisé et d’une réalisation une nouvelle fois tétanisante. Sèche et pissant le sang à tous les niveaux, elle représente le vrai tournant dans l’histoire, celui ou le spectateur se fera son avis sur la dure réinsertion d’Anthony. Le film ne verse pas dans la morale et ne donne jamais son avis à l’instar du constat fait dans Menace 2 society. Avec une conclusion froide et détachée, chacun se fera son idée et donnera sa chance ou pas à Anthony.
Dead presidents est donc un film riche trop peut être même au vu du temps alloué par les Hugues. Peut être même que ce film est arrivé trop tôt dans les mains des deux frères. Toujours est-il que pour un long métrage souffrant régulièrement d’asphyxie, il est la preuve sur péloche de la polyvalence des frangins. Ces mecs savent gérer un casting en tirant le meilleur de leurs acteurs (LarenzTate prend son temps mais il bouffe l’écran dans sa seconde partie, Chris Tucker n’aura jamais été aussi bon, Keith David c’est juste la grande classe) !) Les frangins savent également tenir une caméra proposant un vrai étalage de leur savoir faire. Le plan séquence de transition avec la guerre du Vietnam est l’un des trucs visuels les plus mortels que j’ai vu sans apport d’SFX. Comme je l’ai dit auparavant, le brassage des genres n’est pas un problème pour eux également avec une réalisation caméléon transcendant chaque partie et relayant au second plan les problèmes évoqués précédemment. Il manque finalement qu’une grosse demi-heure pour donner plus d’ampleur à chaque thème. Car si le casse est maitrisé de A à Z, la partie sur le Vietnam et les relations d’Anthony avec son entourage auraient mérité un traitement plus dense afin de combler le seul vrai manque du film, la flamboyance du récit. Pour le reste c’est de la haute voltige avec une maitrise technique assise sur un socle d’acteurs dirigés à la perfection et une bande de son idéalement choisi. Le film glisse au fil des notes comme si chaque standard avaient été composé pour figurer sur ce Dead Présidents de grande classe. Injustement boudé par le public, ce second film est la confirmation du talent visuel et narratif de deux frères ayant digéré les fondements même du cinéma de genre et du classicisme cher à Hollywood.