La première fois que je l'avais vu au cinéma, j'ai été assez déçu par le manque d'originalité du traitement du
Dernier samouraï, nous racontant l'histoire d'un soldat américain perdu et dégoûté par la barbarie coloniale de son pays, et finissant par rejoindre le camp ennemi en esprit et par les armes, car il reconnaît en eux une identité d'honneur et d'harmonie qu'il peut faire sienne : je l'avais tout de suite comparé à
Danse avec les loups, ce qui m'avait un peu gâché la séance. Mais à présent, j'ai compris que la ressemblance avec ce dernier n'était que fortuite, d'autant plus qu'il s'agit d'une histoire basée sur des faits réels, bien que romancée, et non d'une pure fiction. Et je le trouve suffisamment réussi et respectueux de l'esprit des samouraïs, surtout dans sa première partie, pour que je lui fasse une place dans ma rétrospective des films de ce genre, bien qu'il soit réalisé par un américain avec tout ce que cela implique : l'histoire romancée, le rythme, la photographie, et le montage, ce qui n'est pas du tout dérangeant, puisque ce peuple samouraï est abordé par les yeux d'un occidental même.
Un tableau honnête du contexte de l'ère MeijiLe début aborde le Japon par l'intermédiaire de la légende, permettant ainsi de comprendre immédiatement l'importance de l'art samouraï dans la culture japonaise : ce pays aurait été découpé par un sabre, produisant ainsi les différentes îles qu'on y trouve. Ensuite, les principaux thèmes qui faisaient corps avec l'Ere Meiji sont présents : tradition/modernité, occident/orient, essor de la technologie/valeurs passéistes du samouraï. Ainsi, le pays apparaît paradoxalement puissant, et vidé de sa substance, dont l'Empereur est le représentant parfait : considéré comme un Dieu vivant, il ne parvient pourtant pas à prendre des décisions par lui-même, car il est tiraillé entre le besoin de protéger son pays de l'extérieur et de lui préserver une identité forte.
Toute la première partie est admirablement réalisée, jusqu'au départ du soldat du village, avec une identité américaine, mais en respectant l'étrangeté de son objet. Dans l'ensemble, la forme est assez académique, mais se prête bien au genre historique du film. L'arrivée des samouraïs contre l'armée constituée de japonais est particulièrement bien photographiée, pénétrant à travers le brouillard se faufilant entre les arbres. Ensuite, dans le village, on apprend la quadruple identité de la culture traditionnelle du Japon : code d'honneur, perfectionnement de chaque activité pratiquée, spiritualité Zazen ("ne pas penser") et l'art du samouraï. Chaque élément s'imbrique l'un dans l'autre : par exemple, le maniement du sabre implique la non-pensée.
Scientologie ?Beaucoup de commentaires ont porté sur la présence de la scientologie dans le discours du film. Ma réponse est oui et non. En effet, le parcours du soldat ressemble aux rites d'initiation de cette Eglise : la purification du corps des toxines (ici l'alcool), l'abandon de l'esprit à un mentor (ici le chef des samouraïs), et le retournement de l'adepte contre les siens (l'armée américaine). Cependant, il y a eu beaucoup d'exagérations à ce sujet, comme par exemple le rattachement de la représentation bipolaire du monde modernité/tradition et occident/orient, et des valeurs prônées par le Zazen et par le code d'honneur des samouraïs impliquant l'obéissance de ces derniers à leur Seigneur, à la pensée scientologue : il est vrai que Tom Cruise a pu s'identifier personnellement au message du film, mais ces idées sont en elles-mêmes respectueuses du contexte historique et des valeurs qui y ont germé. En outre, le cadre idyllique du village et l'idéologie qui le traverse ne sont pas étrangers à la sensibilité du réalisateur des
Légendes d'automne.
Une seconde partie davantage portée sur l'actionJ'ai trouvé la deuxième partie un peu moins réussie. D'abord, au niveau de la forme, le montage des combats devient plus rapide, plus américain, bien qu'ici on ait droit à de belles scènes. Puis, au niveau du fond, le soldat américain semble avoir un peu trop rapidement digéré la technique du sabre japonais, parvenant à maîtriser un groupe de soldats aguerris à lui tout seul, comme un véritable maître (néanmoins, durant un combat amical, sa technique a révélé qu'il était l'égal de l'un des meilleurs samouraïs du village, lui donnant ainsi du crédit, et puis c'est lui-même un soldat expérimenté). Comme aspects traditionnels, on découvre le théâtre Nô, divertissement publique de l'époque. Ensuite, l'action est bien plus présente, avec des ninjas qui essaient d'assassiner le chef du village, une évasion spectaculaire, et surtout une belle dernière bataille dont les samouraïs, avec seulement des arcs, des sabres, et des chevaux, parviennent humainement à mettre en déroute l'armée en face, freinée tout juste par l'utilisation des nouvelles armes d'artillerie, brisant totalement l'armée des samouraïs, et avec elle, toute une époque de traditions.
Petits bémols dans le traitement du film, hormis le montage devenu un peu trop américain dans la deuxième partie (les plans sont trop découpés et s'enchaînent sous différents angles au lieu de plans-séquences permettant de saisir l'ensemble d'une technique) : l'accent sur la destinée, puis ensuite d'une part le soldat américain qui est trop du côté des samouraïs, versant des larmes chaudes pour leur chef, et puis d'autre part sa disparition soudaine, versant un peu trop dans le pathos à mon goût.
InterprétationTom Cruise parvient à s'effacer derrière son rôle : on parvient à ressentir à travers lui que sans tradition et honneur, on vit comme des spectres où la mort n'a guère d'importance. Le début des années 2000, mises à part quelques exceptions, représentaient vraiment pour lui un recul de son image de star attirant toute l'attention vers lui. Les autres samouraïs sont d'ailleurs pour moi les vraies stars du film : il ne s'agit pas que de leurs armures, admirablement reproduites, mais aussi de leur charisme, spécialement Ken Watanabe. Le parfait exemple pour montrer combien ils en jettent à l'écran, c'est le moment où ils traversent la ville : leur présence est magnétique, presque magique.
Histoire vraie ?Le dernier samouraï est basé sur plusieurs histoires : d'abord celle de la rébellion de Satsuma en 1877, des samouraïs dirigés par Takamori Saigō contre l'armée impériale japonaise, puis surtout celle de Jules Brunet, un officier français qui démissionna de l'armée française par fidélité envers le dernier shogun Tokugawa Yoshinobu qui avait précédemment passé un traité d'amitié avec Napoléon III.
Ainsi, il s'agit bien d'une fiction inspirée de faits réels. Tout d'abord, le passé du soldat, ambassadeur puis malheureux massacreur des indiens, est purement inventé pour donner de l'épaisseur au personnage. Mais la plus grosse entorse à l'histoire est la capture de ce soldat occidental, alors que ce dernier s'était contenté en vérité d'instruire les samouraïs (contrairement au film, dans lequel il instruit l'armée adverse). Ce qui l'a poussé à la révolte, c'est en fait un coup d'état du gouvernement dont le nouveau chef, pro-moderniste, s'est retourné contre les samouraïs. C'est à ce moment-là que le français s'est battu avec ses frères d'armes contre un tel changement de situation (et il n'a jamais donné le coup de grâce au chef des samouraïs). La fin du film est également un non-sens historique : il aurait dû être traîné à la cour martiale pour être destitué de ses fonctions au lieu de disparaître dans la nature (on ressent ici la patte du réalisateur qui préfère romancer ses histoires et rendre ses héros iconiques, au pur respect historique).