Philosophie
Afin d'élargir les horizons du topic "littérature", j'ai décidé de présenter un panorama "philosophie". Je n'ai pas du tout l'intention de faire une histoire complète de la philosophie malgré mes compétences en la matière (j'ai une maîtrise), mais plutôt de présenter les ouvrages qui me paraissent les plus accessibles et les plus interpellants ou stimulants. Je me suis fixé comme règle un seul livre par auteur.
J'en proposerai d'autres s'il y a des intéressés.
N'hésitez pas à poser des remarques de fond ou de forme.
Et merci à Waylander qui m'a proposé cette idée.
Je présente ici à ma manière les livres pré-cités, en essayant de soulever quelques problèmes philosophiques importants qui y sont traités :
Platon - La République. Il s'agit vraiment d'un livre-somme tant les thèmes traités sont nombreux : justice, idéalisme, sagesse, gouvernement, ... Le style adopté est la rhétorique, l'argumentation par l'absurde, et le dialogue. Il est très connu notamment pour l'allégorie de la caverne (résumant le parcours initiatique du sage) et l'anneau de Gygès rendant invisible (qui expose l'idée selon laquelle la justice renverrait aux faibles et naïfs, et l'injustice, aux forts et habiles). D'autres idées sont par contre discutables : la place à occuper pour que la Cité fonctionne bien, le dénigrement de la poésie et du théâtre ...
Aristote - Ethique à Nicomaque. Un peu plus difficile à lire que Platon, mais tout aussi primordiale. Il s'agit vraiment du pendant à l'idéalisme : l'homme juste se mesure à ses actes, et le Bien, loin d'être défini une fois pour toutes, est particulier à chaque situation. Une idée géniale apparaît alors, celle de finalité : chaque individu a à accomplir une finalité qui lui est propre (l'une des dérives sera le finalisme, doctrine réduisant tout à une série de causes et d'effets, limitant fortement le libre-arbitre), et par laquelle il se rattache à la communauté des humains. Le style est plus formel et logique, ce qui donne un livre très bien structuré. Il y a aussi de belles pages sur l'amitié.
Saint-Augustin - Les confessions. Oeuvre importante à bien des égards, non seulement pour ses thèmes intrinsèques (sentiment de culpabilité, l'emprise du passé sur le présent, ...), mais aussi pour la grande influence qu'elle a eue sur le christianisme, en bien ou en mal (car finalement, au vu de ses problèmes avec sa mère et les femmes en général, il s'agirait fondamentalement d'un détraqué sexuel qui s'est tourné vers la religion, dont l'influence intellectuelle sur la religion a été décisive : par exemple, c'est à lui qu'on doit la notion du péché originel, sorte de mixte entre le mythe d'Adam et Eve et de son sentiment personnel de culpabilité qu'il a élevé à la généralité).
Hobbes - Léviathan. Très important pour sa pensée politique et la question de représentation des citoyens dans le gouvernement. On le reconnaît à la formule suivante : "l'homme est un loup pour l'homme". Autrement dit, les hommes se feraient naturellement la guerre si un Souverain absolu envers lequel le droit de résistance est nul, n'existait pas. Pourquoi ? Parce que les hommes ont la vue courte : ils préfèrent leur intérêt immédiat (ex : possession) plutôt que l'intérêt général (paix & sécurité). Mais il ne s'agit pas d'un dictateur, car si cet intérêt général était bafoué, le contrat s'annulerait. Je conseille surtout le Chapitre 13 (qui traite de l'état de guerre de tous contre tous, et donc ce fameux besoin du Souverain absolu).
Leibniz - Essai de théodicée. Livre qui ressemble énormément à Job (Ancien Testament) : Dieu est-il bon et juste ? Et son oeuvre, la Terre, est-elle aussi parfaite qu'il est possible ? Autrement dit, est-elle le meilleur monde possible ? Le pari du philosophe est de conjuguer perfection divine et liberté. Pas toujours facile à lire car il y a pas mal d'allusions à la Bible et aux théories philosophiques de son époque. Ce livre est surtout connu par sa reprise parodique dans Candide et l'optimisme.
Montaigne - Essais. Le seul livre que j'aurais bien du mal à résumer, car il ne se réduit à aucune systématisation. C'est l'oeuvre de toute une vie, produit d'une remarquable introspection de l'âme, véritable manuel de savoir-vivre, et que je trouve encore très moderne.
Descartes - Méditations métaphysiques. Fondateur du rationalisme et précurseur de la phénoménologie, grâce à la simple et fameuse première certitude de l'esprit : "je ne peux douter que je pense, donc je pense, je suis" (cette dérivation de la pensée vers l'être impliquerait que rien n'existerait au-dehors de la conscience). Très importante également sa distinction métaphysique de l'âme (principal attribut = pensée) et du corps (principal attribut = étendue), d'origine platonicienne, qui hante encore notre modernité. C'est un livre qui se lit très simplement, car comme son nom l'indique, il ne s'agit pas d'un traité, mais plutôt d'une introspection, d'une quête de vérité.
Spinoza - Ethique. C'est mon chouchou philosophique. Il n'est vraiment pas facile à lire, et est un peu à part dans l'histoire de la philosophie. En gros, l'objet du livre, c'est de mettre en place de manière systématique (c'est construit comme un problème de mathématiques avec un enchaînement de propositions) la possibilité d'évacuer toutes les passions tristes, qui sont dans le langage spinoziste, une diminution de la capacité d'agir, tandis que les passions joyeuses en sont au contraire l'augmentation. Et plein d'autres thèmes affluent autour de cet objectif : parallélisme âme-corps (autrement dit le langage de l'âme et celui du corps ne cessent d'interagir), le désir (essence de l'homme), Dieu immanent à la nature (autrement dit toute la puissance de Dieu s'est épuisée dans sa création, excluant toute idée de miracle ou de contre-nature), ... Un livre que je conseillerais de commencer par les appendices, puis par le livre III (il y a V livres qu'on peut lire à la fois de manière chronologique ou indépendante).
Kant - fondement de la métaphysique des moeurs.. Livre fondateur sur la question du devoir, et de la difficulté à faire correspondre les actes à la rectitude de la volonté, indépendamment des circonstances. Il s'agit également d'autonomie de la volonté, car est véritablement libre celui qui agit de manière non divisée avec lui-même, selon la raison. Ce n'est pas toujours un livre facile à suivre, car le vocabulaire est très technique, mais c'est l'un des plus simples (à part les opuscules comme "Qu'est-ce que les lumières ?") que je peux proposer.
Nietzsche - généalogie de la morale. Sûrement l'un des livres de Nietzsche les plus plus clairs et accessibles. Le public visé est le christianisme de l'époque. Son objectif est le suivant : découvrir ce qui se trame derrière les valeurs morales. Or, celles-ci seraient le résultat d'affects et de pulsions visant à diminuer les "forts", et à valoriser les "faibles". Autrement dit, au lieu d'être "positives", elles seraient un "ressentiment", une "réaction". Un livre que je conseille fortement, et qui est en plus écrit et traduit dans une belle prose.
Sartre - l'existence est un humanisme. D'après mes souvenirs, ce court livre est important pour deux raisons : l'athéisme comme pétition de principe, avec son corollaire immédiat, l'homme se définit par ses actes et non selon une essence préétablie par un être supérieur. En quelques pages, Descartes et son cogito s'en prennent plein la figure. Un livre lisible dans un style très clair.
Michel Foucault - surveiller et punir. Selon moi, l'un des philosophes les plus percutants du vingtième siècle. Dans ce livre, la thèse défendue est la suivante : la forme carcérale des prisons s'est transposée dans la société même. Désormais, la répression et la culpabilisation prennent une forme moins visible, et travaillent les âmes de l'intérieur, essentiellement par l'intermédiaire de la la morale, visant la normalisation des comportements.