The Red Shoes (Les Chaussons Rouges) de Michael Powell
(1948)
De loin le meilleur film que j'ai pu voir du fameux duo Powell/Pressburger, c'est d'ailleurs clairement dans cette collaboration que Michael Powell réalise ses meilleurs films, Peeping Tom étant quand même un niveau en-dessous. Les productions Archers sont clairement plus inventives et surtout bien plus captivantes que ce soit sur la forme ou sur le fond et cela donne lieu à des films excellents dont celui-ci est la quintessence même que l'on peut avoir véritablement un train d'avance sur le cinéma de son époque. C'est bien simple, pendant toute la durée du film j'étais persuadé que le film avait été tourné dans les années 60 et je découvre finalement que le film date de 1948, grosse claque devant une œuvre réellement en avance sur son temps, la maîtrise du format Technicolor étant tout simplement impressionnante, surtout lorsque l'on sait que An American In Paris et Singin' In The Rain ne sortiront que quelques années plus tard. D'ailleurs, The Red Shoes est très étonnant dans le sens où il est un film difficilement classable, reprenant à la fois les codes du conte (le script est librement inspiré d'une œuvre très sombre d'Andersen) ou encore un schéma scénaristique semblable à celui d'une comédie musicale dont les scènes seraient totalement chamboulées, ainsi le climax principal apparaît au beau milieu du film. Cela a clairement de quoi déstabiliser mais pourtant jamais le film ne perd en intensité dramatique. Découvrir The Red Shoes permet également de voir à quel point le film a influencé Darren Aronofsky pour son excellent Black Swan, film qui reprend non seulement le gros de la trame principale du film de Powell (une jeune fille torturée par deux personnalités bien distinctes) mais aussi son idée principale, à savoir reprendre l'enveloppe d'une œuvre déjà existante pour pouvoir mieux l'analyser. Le film peut être aisément diviser en trois parties distinctes, la première servant de gigantesque introduction permettant de poser les personnages et l'intrigue d'une manière vraiment efficace (le réalisme omniprésent du milieu artistique fait que, avec le recul, cette partie est vraiment ma préférée). On a ainsi un trio de personnages qui se forme via une danseuse ambitieuses (très étonnante Moira Shearer, qui partage plusieurs points communs avec son personnage dans Peeping Tom), un compositeur culotté (Marius Goring, très convaincant lui aussi) et un businessman artistique charismatique (Anton Walbrook, de loin LA révélation du film, jouant un Boris Lermontov qui est, au final, le véritable personnage principal du film), un trio qui est véritablement le cœur même du métrage.
Au fil des destinations (bravo au passage pour le respect des langues qui permet au film d'atteindre un réalisme sans précédent), le spectateur suit ainsi le destin que l'on doute tragique du trio amoureux (d'ailleurs, j'apprécie énormément les différents amours décrits dans le scénario, cela donne un côté très humain à un film qui, plastiquement, peut paraître très artificiel au premier abord) jusqu'à la seconde partie du film, une séquence entière librement inspirée des climax musicaux hollywoodiens (on y retrouve la même façon de créer la mise en abyme), une scène qui vaut à elle seule le coup d’œil et si une certaine longueur se fait sentir il est indéniable que l'on est en face d'un véritable morceau de bravoure. Ce passage est un véritable plaisir cinéphilique (qui a du en inspirer beaucoup, je me demande même si Baz Luhrmann n'aurait pas repris le plan d'ouverture du rideau pour Moulin Rouge), aussi bien sur le plan visuel (des décors magnifiques et des effets spéciaux très étonnants pour l'époque) que sur le plan auditif (fantastique composition). Quand à la dernière partie, elle est définitivement plus humaine, plus torturée, ce qui permet à la séquence finale d'être véritablement touchante. Enfin, la mise en scène, comme toujours avec Powell, est à la fois maîtrisée et inventive. Les tournages en décors en trompe-l’œil n'ont jamais aussi bien rendus à l'écran et les petites idées qui font toutes la différences sont nombreuses (beaucoup de plans inclinés mais aussi beaucoup de passages en vue subjective, le plan le plus marquant étant celui où la danseuse cherche des yeux Lermontov tout en exécutant des pas de danse, le tout marqué par des zooms successifs du plus bel effet). Bref, une grosse claque en ce qui me concerne, pas étonnant que le film ait marqué profondément un réalisateur comme Martin Scorsese qui lui rendra hommage de nombreuses fois (le Paris représenté est clairement celui visible dans Hugo et il y a même un plan virtuose de pieds descendants des escaliers qui est repris à l'identique dans Shutter Island), il ne me faudrait pas grand chose pour crier au chef-d’œuvre, en espérant que le film saura autant me toucher à la seconde vision. Je conseille très fortement, de mon côté je vais tâcher de trouver ce qu'il me reste à voir du duo Powell/Pressburger.
Un petit mot sur le Blu-Ray qui est tout simplement l'un des plus impressionnants que j'ai pu voir, le travail de restauration est magnifique et permet au travail sur la couleur d'être magistralement mis en avant. Merci par ailleurs à Alinoe pour ses magnifiques captures.
NOTE : 9/10