C'est le deuxième film brésilien sur les favellas que je regarde après le bien nommé
Cité de Dieu, et cette fois-ci on passe du côté des policiers. De nouveau, la grande force du film est la qualité de sa narration, et surtout son traitement anti-manichéen.
NarrationL'arrière-plan historique porte sur la visite du Pape au Brésil, mais ce point est à peine développé, et il s'agit plutôt d'un prétexte pour raconter l'histoire, qui se déroule en fait par le biais de la voix off d'un capitaine des forces d'élite de la police qui est sur le bord de péter les plombs dans son travail, et qui cherche un remplaçant, a priori soit un étudiant à mi-temps défendant un idéal de justice, soit un guerrier-né en manque d'action. Cette voix off est tout à fait essentielle, car ainsi la complexité du rapport des policiers avec les favelas est mise à nue. En gros, il y a trois types de policiers : les corrompus (qui utilisent ainsi le système contre lui-même), les justes (qui se font souvent tuer pour l'occasion, ou bien se font rembarrer par leur chef car ils font trop bien leur boulot), ou ceux qui ferment les yeux (les gros lâches autrement dit, ou les idéalistes dont la vision ne concorde pas avec l'exigence de la réalité). Mais les corrompus sont les plus nombreux.
Pour revenir aux candidats au remplacement du capitaine, ces derniers permettent de brasser deux réalités différentes. Ainsi, l'étudiant nous permet de comprendre la différence entre la théorie et la pratique : en théorie, la justice doit être rendue. Mais en en même temps le soubassement du système judiciaire est critiqué en prenant appui intelligemment sur Michel Foucault dans
Surveiller et punir, qui prédisait (je rajoute ce commentaire au film) que la suite logique des sociétés de contrôle impliquerait la disparition des frontières physiques au sein des zones urbaines. Or, elles n'ont jamais été aussi fortes à Rio de Janeiro, et les étudiants bien-pensants eux-mêmes participent au financement des narcotiques et du cycle de la violence, que seuls les policiers peuvent arrêter (un mal nécessaire ? Il n'y a pas d'avis tranché de la part du metteur en scène). Et de son côté, le second candidat est une tête brûlée, qui n'hésite pas à foncer dans le tas, mais manque d'intelligence sur le terrain, risquant ainsi sa vie et celle des autres. Dommage que ce personnage ne soit pas davantage développé, mais au moins on réalise quel genre de couilles il faut avoir pour réussir le stage du groupe d'élite des policiers. L'intensité et la barbarie de l'entraînement sont d'ailleurs admirablement reproduits, le plus déshumanisant que je connais depuis celui de
Full Metal Jacket.
Au delà de la critique sociale, l'étudiant et le capitaine restituent bien, sans tomber dans le pathos, la difficulté à concilier travail et vie privée, d'autant plus que le premier est animé par des idéaux qui ne permettront aucune compromission avec ses amis étudiants qui ont un lien, même indirect, avec les gangs. Ces derniers permettent d'ailleurs la présence d'ONG - organisation destinée aux personnes en situation de précarité - tenue par ces ces mêmes personnes, car elles favorisent en fait leurs intérêts, à l'insu de ces derniers, en présentant un monde bipolaire : les policiers fascistes et les pauvres de la cité.
Pour terminer, je ne suis pas certain que la transformation de l'étudiant idéaliste en soldat impitoyable et intraitable, et l'idéologie "oeil pour oeil" du groupe d'élite, indiquent une complaisance de la part du réalisateur, comme l'affirment certains commentaires du film. Au contraire, ce dernier semble plutôt pointer du doigt la difficulté d'une réalité, et la seule manière actuelle d'y répondre, à savoir par un cycle de violence interminable, nourri à la fois par un réseau d'étudiants-dealers, la corruption de certains policiers, la misère générale des favelas, et l'indifférence ou l'idéalisme naïf des autres. Les deux seules choses qui pourraient être remises en cause dans le traitement est le choix d'une population non neutre par rapport au conflit, accentuant ainsi artificiellement les différends, et la soit-disante incorruptibilité du groupe d'élite, portant ainsi légèrement atteinte au flou de la frontière entre le bien et le mal. D'autre part, pour le second point, il s'agit plus d'un état de guerre que de crimes éparses : comment réagir raisonnablement à la perte de ses proches dans une telle situation ? Par conséquent, il s'agit certainement d'un film pessimiste, dans lequel même les idéalistes sont obligés de se compromettre pour essayer d'améliorer la société (y arrivent-ils seulement ?), mais complaisant, je ne crois pas.
RéalisationJe trouve que la réalisation, contrairement à la
Cité de Dieu, ne fait pas tape-à-l'oeil : la caméra à l'épaule et l'absence de stylisation ne perturbent pas ainsi le ton documentaliste du propos. On découvre les policiers probablement tels qu'ils doivent être (le scénariste faisait d'ailleurs partie du groupe d'élite) : intraitables, ils tirent avant d'interroger, et torturent jusqu'à obtenir satisfaction. Ils sont comme les narcotiques : c'est la guerre, et non un tribunal où la justice est rendue. La tension est électrique entre les deux camps. Et les fusillades sont bien rendues : c'est souvent la pagaille, et tirer dans une favela revient à mettre son pied dans une poudrière.
J'ai vraiment rien à reprocher aux acteurs. Comme dans
La cité de Dieu, ils sont vraiment étonnants de naturel. Et la BO, encore une fois est vraiment bonne, alternant entre musique brésilienne et rock classique ou local.
Comme défauts, il manque peut-être une plus grande visibilité des scènes d'action, et le script comporte quelques raccourcis (par exemple : la rencontre des trois policiers) ou passages moins intéressants (exemple : la réparation de la voiture qui en rajoute sur la corruption des policiers) qui freinent la fluidité du récit. Donc rien de bien grave.