Pulsions
10/10Revoir Pulsions aujourd'hui permet d'aborder le film sous deux approches totalement complémentaires.
La première analyse se bornerait à admirer le tour de force technique faisant étalage d'une virtuosité tout simplement hallucinante. Brian de Palma, en trois scènes, assoit sa réputation de perfectionniste de l'image et de manipulateur pervers. Faisant preuve d'un vrai égoisme à tendance narcissique, le réalisateur étale son talent au travers de nombreuses séquences aux montages complexes et à la construction alambiquée. Pulsions navigue donc entre le slasher primaire et l'érotisme frontal avec une facilité déconcertante. Après une introduction confirmant la propension au voyeurisme du réalisateur, ce dernier brouille les cartes en suivant la vie dissolue d'une bourgeoise à la sexualité entreprenante. Le premier défi technique se situe lors de l'incroyable séquence du musée. A la tete d'un véritable plaisir nombriliste, De Palma fait virevolter la caméra au gré d'un jeu du chat et de la souris totalement gratuit mais tellement sublime à regarder. Volontairement teinté de naiveté (le score magnifique va dans ce sens), cette danse de la séduction creuse un peu plus le personnage torturé d'Angie Dickinson et entraine le films dans une légèreté ambiante, bizarrement peu rassurante (il faut bien observer le cadre car on y repère des éléments concernant la suite des évènements). Seconde séquence et nouveau tour de force, il s'agit de la scène de l'ascenseur télescopant le thriller routinier avec les codes du slasher nerveux. Après avoir promené le spectateur avec un adultère joliment empaqueté (pas tant que ça avec le coup de la MST!), De Palma lui jette au visage LA scène de meurtre dans laquelle il détruits tous les codes Hitchockiens dont on a pu l'affubler tout au long de sa première partie de carrière. C'est n'est plus douche mais un ascenseur miteux. Ce n'est plus la blonde immaculée mais une MILF légèrement nymphomane qui vient de fauter. Le meurtre n'est plus suggéré mais étalera des tonnes de sang avec un vrai sens du gros plan. Le résultat offre une scène d'angoisse magistrale, de toute beauté, apre, violente, sanglante ou les jeux de miroirs ont une importance capitale pour la suite de l'histoire en plus d'une beauté graphique à tomber (L'ensemble n'est pas sans rappeler le meilleur d'Argento période Deep red). La troisième oeuvre correspond à la stressante scène dans le métro jouant avec les nerfs du spectateur. Poursuivi de toutes parts, la coquine Nancy Allen jongle entre un groupes de bad boys et le mystérieux tueur lancé à ses trousses. Monté finalement comme la séquence du musée, le réalisateur organise un ballet tendu se situant dans une rame glauque de métro. Les plans sont tous étudiés et somptueux avec en point d'orgue cette silhouette guettant sa proie entre deux wagons. Véritable déballage technique, cette première approche pourrait passer pour de la suffisance mais avec un tel niveau de maestria, on veut bien passer outre.
La seconde analyse que l'on pourrait faire de Dressed to kill ressemble à une vraie entreprise de destruction des codes Hitchcockiens. Depuis le début de sa carrière, Brian de Palma est considéré par beaucoup comme le fils spirituel d'Alfred Hitchcock. Il en partage allègrement tous les tics par le biais d'une utilisation intelligente de la musique, d'une héroine blonde un peu femme fatale et de figures de style hautement inspirées du maitre étalon, Psychose. Mais avec Pulsions, la donne est tout autre. Dans une volonté affichée de s'affranchir de cet héritage finalement trop envahissant, il se démarque complètement du thriller romantique en imposant d'entrée de jeu une femme blonde tranchant complètement avec les codes classiques. La blonde platine ne sera plus crystalline, elle sera désormais ancré dans son époque avec une libido exacerbée, une vie dissolue et un age avancée. De Palma, flinguera le modèle féminin d'Hitch avec cette séquence de masturbation déclenchant les foudres de la censure dès les premières minutes. Autre temps, autre moeurs, le suspense va se rapprocher des codes du film d'horreur en imposant un tueur froid et déterminé hautement chevronné dans le meurtre sadique et dégueulasse. Dézinguant très rapidement son personnage présenté comme principal (encore une entorse aux règles), il fait d'une prostitué lambda sa vraie héroine, une femme qui jure, qui est cash et qui se fout à poil à la moindre occase, un prolongement d'Angie Dickinson mais en plus burnée encore. Affublée du fils de cette dernière, Nancy Allen mènera l'enquete au service d'un flic loin d'etre propret et tout ce qu'il y a de plus vicelard (j'adore Dennis Franz!). Le cul est au centre de tout. Encore une fois, la volonté de bousculer les conventions et de désintégrer l'héritage du maitre est palpable avec tous ces personnages arborant une sexualité déviante. Michael Caine est à titre somptueux d'ambiguité avec un jeu intériorisé d'une classe absolue. Les motivations du tueur tranchent également avec les coutumes de l'époque abordant un sujet tabous bien peu traité à l'écran. Le film est jusqu'à sa dernière bobine marqué d'un sceau sexuel entretenant une ambiance unique de suspense dépravé. Avec un appui technique redoutable, le classicisme de l'histoire passe comme une lettre à la poste. D'un contexte finalement très simple, le témoin d'un meurtre est pris en chasse par un tueur sadique. De palma bouleverse la forme en apportant une dimension sulfureuse et horrifique ultra gonflée et salvatrice. Le thriller des années 80 sentira le cul ou ne sera pas!
Par cette prise de risque De Palma impose surtout sa stature de vrai réalisateur et pas de simple esthète de la technique. Sa propension à briser les codes, à apporter une tonalité nouvelle au service d'une technique inattaquable fait de lui l'un des plus grands artistes du 7eme art et ce malgré la naiveté qu'on pourrait lui reprocher par moments. Pulsions est à mon sens le thriller à retenir dans l'histoire du genre car, au meme titre de Jaws, il suinte la perfection à tous les niveaux. Manipulateur, ténébreux, ambigue, Dressed to kill est un maelstrom dantesque de technique, de références, de culot et de savoir faire que l'on ne reverra jamais. Et meme si le twist est repérable à mi-parcours, le déroulé du film est d'une virtuosité absolument inatteignable pour les cadors actuels. Le summum réside dans cette fin totalement gratuite au meme titre que la scène du musée. Mais le réalisateur se sentait dans l'obligation de montrer qu'il peut etre aussi redoutable dans le vrai slasher que dans l'érotisme voyeur. Pensé comme un court métrage d'horreur, la conclusion du film est finalement un énorme moment de frustration car on se dit qu'il aurait été fantastique de voir le réalisateur aux commandes d'un vrai film d'horreur, genre qu'il aurait assurément transcendé et ponctué de ses angoisses et de sa perversité. A l'instar d'un Carpenter qui aura toujours baigné ses films dans le western, De Palma jalonera sa filmographie d'influences horrifiques soit très frontales ou giallesques.