Barry Lyndon |
Réalisé par Stanley Kubrick |
10/10 |
Résumé :
Je pense que Barry Lyndon est l'un de mes films historiques préférés. Cette photographie reconstituant magistralement le dix-septième siècle en prenant modèle sur les tableaux de la même époque, et la musique classique de Vivaldi, Bach, Mozart, ou que sais-je encore, y sont pour beaucoup. Au niveau esthétique, c'est donc à la fois sublime et bluffant d'authenticité. De plus, les acteurs sont vraiment tous bons : il est d'autant plus facile de les identifier aux personnages qu'ils incarnent qu'ils sont tous relativement peu connus.
Mais cette forme supporte également un thème fort, le destin d'un individu qui veut s'arracher à sa basse condition pour des plus hautes sphères. La narration est habilement découpée en deux chapitres, développant son ascension puis sa chute suivant un schéma littéraire, et emploie à cette fin une voix off et des commentaires textuels, qui loin de dédoubler le récit, anticipent les événements en leur conférant une valeur à la fois déterministe et didactique. En effet, par delà le cheminement social tragico-comique d'un individu, un portrait de la nature humaine se dessine devant nos yeux avec comme thème directeur la violence des sentiments et la cruauté se masquant derrière la beauté picturale immobile des images et le vernis des convenances sociales, qui affectent à leur tour l'amour, la paternité, l'identité, et bien d'autres réalités du même ordre.
Essai d'interprétation du personnage Barry Lyndon
Je pense qu'on peut comprendre ce personnage à l'aune de l'affection, de la violence, et de l'authenticité de son être. En effet, c'est l'abandon d'une femme, sa cousine et premier amour, qui a programmé le tournant de sa vie. Elle l'a ainsi poussé à agir comme un homme véritable face à la superficialité de la situation, à savoir du mariage de cette femme qu'il a aimé en l'échange d'une dote importante. Or, dans le cadre du dix-septième siècle, la seule manière de défendre son honneur et d'agir violemment contre l'adversité, est tempérée fortement par la forme artificielle du duel. Et c'est la forme conventionnelle de cette violence, quasi aseptisée jusqu'à son dénouement final, qui va ponctuer toute l'ascension sociale de Barry de la première partie. Mais paradoxalement, cette violence, en premier lieu justifiée quand il s'agissait de défendre son honneur, l'a transformé peu à peu en robot dénué de sentiments (à ce niveau-là, il est intéressant de voir les batailles rangées des artilleurs, d'une horreur presque abstraite, sauf quand il s'agit de la mort d'un soldat ou d'un visage connu), qui va le desservir complètement dans la deuxième partie, en manquant d'affection pour sa femme et son beau-fils : en effet, on ne peut agir dans une famille (qui requiert tendresse et affection) de la même manière que d'un duel. C'est ce triangle (apparemment) simple entre affection frustrée, violence canalisée, et manque affectif prodigué, qui semble à la fois structurer et sceller son destin, d'autant plus que sa vie d'espion succédant à celle de soldat l'a sûrement éduqué à paraître (doux, noble) au lieu d'être (violent, d'origine modeste). Au niveau de l'interprétation, le passage à la noblesse se caractérise par une mono-expression des visages, véritables masques de cire hypocrites de la véritable nature de l'être.
Au niveau de la forme, je le répète, c'est tout simplement un chef d'oeuvre. Il y a un soucis du détail et du cadre tel que chaque scène mériterait un commentaire à lui tout seul, tel ce fameux plan dézoomé lentement pour photographier un état significatif des personnages. Par exemple, cette image de Mme Lyndon et de son fils, devenus quasiment morts-vivants, délaissés par Barry Lyndon, cet imposteur qui n'en veut qu'à leur fortune et leur titre pour s'établir. Un bémol s'impose, qui coupe en deux la dernière partie : cet homme ne serait devenu qu'un simple opportuniste s'il n'avait pas découvert in extremis les joies de la paternité. Cependant, il échoue là aussi, en lui transmettant la fatalité qui porte en lui : en déversant sur cet enfant toute l'affection dont il a manqué, et sans le cadrer adéquatement, il l'a perdu inexorablement, alors qu'avec son beau-fils, il a agi tout à l'opposé, le menant également à sa perte.
Une conclusion à la fois individuelle et d'ordre historique
D'une forme symétriquement impitoyable, le destin de Barry se termine comme il a commencé : seul avec sa mère, sans propriété ni titre, mais avec un peu d'argent, ironiquement gagné en ayant perdu tout le reste et par la main de celui qu'il a détesté le plus et qui était l'unique obstacle en travers de son ascension sociale. Au delà de l'individu, cette fin tragique revêt également un sens historique, comme en témoigne la date 1789, inscrite sur le document du dernier versement d'argent destiné à Barry, et qui clôt le système de privilèges dont bénéficiaient les nobles. A ce titre, je trouve que ce film est singulièrement proche de l'esprit des films de samouraïs (je pense notamment à Hitokiri) qui racontent à la fois la fin d'une époque (code d'honneur, système de castes, société ritualisée à l'extrême), et le processus d'un individu transformé par la haute-société qu'il côtoie, bien qu'il soit d'une classe différente.