Ce que j'aime avec Melville, c'est qu'il traite les mêmes thèmes transversaux, mais malgré tout, il ne se répète jamais. Ainsi dans
Bob Le flambeur, nous retrouvons le même type de gangster que dans
Le doulos réalisé plus tard, à la fin de la route, et qui veut se ranger en faisant un dernier casse. En outre, une amitié forte entre lui et un policier est aussi à l'arrière plan. Et la réalisation est déjà en place, avec des plans à la fois bien cadrés et pensés, et une musique jazzy qui sera la marque de Melville. Sinon, le récit tout comme le traitement sont très différents de ses autres films, et il s'agit peut-être de l'un de ses films les plus personnels, en évoquant par exemple par le biais des personnages l'idée d'influence réciproque des gangsters américains et français.
Ce que je n'avais pas aperçu dans ses autres films, et qui se confirme ici, c'est que les personnages de Melville sont vraiment bien trempés, non seulement grâce aux dialogues mettant bien en valeur leur caractère, mais aussi parce qu'au lieu de nous plonger directement dans l'action, beaucoup de temps est employé pour les présenter. Ainsi, toute la première partie apparaît plate pour un néophyte, mais en fait elle permet de nous introduire les protagonistes, pour l'essentiel : le joueur compulsif et doté de principes mis en valeur par son respect des femmes, le disciple imitant son maître sans recul, la femme fatale qui agit de manière inconséquente et monte rapidement en grade dans l'univers du spectacle.
Le thème central du film est celui du destin, et qui semble être un lieu-commun des films de Melville, sauf que contrairement au
Doulos dans lequel l'étau semblait se resserrer très vite autour des personnages, ici toute la première partie se déroulant à Montmartre est plus ambigü, à la fois ample car rien n'est décidé d'avance, mais en même temps tourne en rond, autour de la place des spectacles très bien mis en valeur par un plan de grue. Et quoi de mieux que la notion de jeu pour mettre en scène cette inconstance de la vie, en même temps que ce cercle vicieux ? Bob ne semble pas, en effet, sortir de cette machine infernale, comme en témoigne la machine à jeu qu'il garde dans son appartement, et fait tourner à vide, comme si sa vie elle-même se répétait inlassablement sans événement majeur. Ce dernier arrive par hasard, par l'oreille d'un ami. Et nous passons à la seconde partie.
Après une première partie portée par la présentation d'un univers, celui du jeu, et du caractères des personnages, la deuxième partie est plus intéressante en soi, développant les préparatifs du casse avec soin : organisation du plan, définition des rôles, utilisation d'une technologie inédite pour venir à bout du coffre. C'est du
Ocean's Eleven bien avant l'heure, l'effet bling-bling en moins. La trajectoire des destinées se dessine aussi plus clairement, alors que précédemment elle patinait, elle tournait en rond : le jeune tourne mal en préparant des coups comme le fit Bob, la jeune beauté fatale n'hésite pas à fréquenter les infréquentables pour progresser avec la seule idée de s'enrichir en tête (à ce titre, elle est totalement opposée à Bob qui compte uniquement sur la chance pour s'en sortir). Et parallèlement, un nouveau thème vient enrichir l'intrigue déjà bien étoffée : le rapport au secret, mis en évidence par la relation homme-femme. En effet, les femmes sont toujours traitées de manière importante chez Melville : femmes fatales innocentes et machiavéliques à la fois ou intrigantes (à qui on ne peut rien confier, car elles peuvent agir de manière inconséquente ou au contraire résolue), et amies de vieille date à qui on peut au contraire confier même sa propre vie.
La fin est intéressante. Sans la dévoiler, je dirais qu'elle est un beau anti-climax, qui met en scène le jeu autrement, qui a tendance à faire oublier tout l'univers l'extérieur aux joueurs, et réserve en même temps des surprises inattendues. A l'image du film, un beau coup de bluff.
C'est difficile de trouver des défauts au film tout en tenant compte de son âge. Disons qu'en comparant les films de Melville que j'ai vu,
Bob le flambeur aurait pu avoir une photographie un peu plus travaillée, une identité visuelle plus forte. Ensuite, les fusillades ont bien vieilli. Enfin, le raccord de la première partie à la seconde est peut-être un peu trop rapide, et donc légèrement artificiel bien que justifié en fonction des thèmes et des personnages impliqués. Par contre, j'ai bien apprécié la fluidité du récit, et la voix off qui n'apporte aucune information supplémentaire au récit, mais souligne la destinée de Bob qui se met en place.