Braveheart |
Réalisé par Mel Gibson
Avec Mel Gibson, Sophie Marceau, Catherine McCormack, Patrick McGoohan, James Cosmo, Brian Cox, Sean McGinley
Historique/drame/guerre, USA, 2h45 - 1995 |
9.5/10 |
Résumé : Evocation de la vie tumultueuse de William Wallace, héros et symbole de l'indépendance écossaise, qui à la fin du XIIIe siècle affronta les troupes du roi d'Angleterre Edward I qui venaient d'envahir son pays.
Dans le genre épique, on peut dire qu'il y a un avant et un après Braveheart. Même après une dizaine de fois, les mêmes sensations demeurent en place : tour à tour émouvant durant la romance, passionnant grâce à ce personnage menant un combat furieux défendant la liberté contre la tyrannie, et réjouissant avec des combats dont la violence ultra-réaliste redéfinit le film historique. L'interprétation de Mel Gibson, habité par son personnage, compte pour beaucoup dans le succès de la réalisation.
Epique et romantique
L'une des grandes réussites de Braveheart tient d'abord à la qualité de la romance se déroulant entre Murron et Wallace, et qui constitue le premier morceau, dont l'issue malheureuse motivera ce dernier à se soulever contre les anglais. Cette histoire d'amour est à la fois incroyablement tendre, intense, et tragique. Je retiendrai essentiellement trois scènes, qui condensent toute l'intensité de la relation. D'abord, lorsqu'ils sont enfants, et que Murron tend une fleur à Wallace en plein deuil de son paternel, que ce dernier redonnera étant adulte, preuve qu'il a pensé à elle pendant toutes ces années, de la façon la plus romantique qu'il soit. Ensuite, la scène d'amour suivant leur mariage, incroyablement tendre et pudique malgré quelques nus visibles. Enfin, la fameuse scène d'égorgement de Murron par un anglais, qui est cadrée sur son regard et non sur sa gorge.
Ensuite, le cadre historique, au niveau visuel et sonore, est parfaitement planté. Il s'agit même l'un des meilleurs depuis La chair et le sang. On nous présente un Moyen-Age grisâtre, sale et boueux, soutenu par une musique jouée par des instruments celtiques (harpe, cornemuse, flûte ...) vraiment magnifique et pittoresque. Les décors naturels sans aucune once de CGI, le réalisme des costumes et des habitations, la présence d'acteurs écossais parlant avec un doux accent roulant les "r", et ces bonnes gueules de guerriers-nés (dont certains joueront dans d'autres films du même genre), complètent le charme.
Enfin, les combats renouvellent le genre historique : pour une fois ils sont réalistes, sanglants, barbares. Les coups sont portés et en plein champ, et les stratégies des batailles sont parfaitement visibles dans les deux batailles présentes. Dans la première, nous percevons d'un côté l'armée anglaise, parfaitement ordonnée mais prévisible déployant logiquement archers, cavaliers, et hommes à pied, opposée à une force paysanne moins nombreuse, mais intelligemment utilisée. La réussite de cette bataille, outre la démonstration et la visibilité de deux stratégies différentes, tient également à la montée de la tension réalisée grâce à un montage alterné entre vitesse normale et vitesse rapide des cavaliers lancés contre la ligne des écossais. La seconde bataille est réalisée un peu de la même manière, mais l'intérêt réside à montrer un nouveau déroulement : l'ingéniosité de Wallace désormais reconnue (à laquelle se rajoute le ralliement inattendu d'un peuple ami) doit faire face à présent à la trahison d'une partie de son armée et à l'efficacité des anglais (cette fois-ci dirigée par un chef expérimenté, le Roi lui-même) au détriment de l'esprit chevaleresque, acceptant ainsi des dégâts collatéraux. Par delà la violence et la visibilité des batailles, il y a le début de ces batailles que je trouve génial, spécialement au début de la première. En effet, à ce moment-là, les écossais ne tarissent pas de provocations à l'adresse de l'ennemi, et William Wallace brise la réputation de son image, pour se mettre à la hauteur de ses semblables grâce à un discours universel, engageant nobles et paysans, qu'il crie à leur face : "tous les hommes meurent, mais tous ne vivent pas réellement" (bon, cette affirmation est prononcée à un autre moment, mais le contenu s'en approche beaucoup). Du grand art.
L'histoire vue par Mel Gibson
La vision de l'histoire de Mel Gibson est sujette à caution. Je comprends le postulat de départ, selon lequel "ceux qui on écrit l'histoire sont ceux qui ont pendu les héros". Ainsi, Braveheart est comme un porte-étendard de la liberté et des hommes qui se sont battus pour elle, et qui ont été oublié par l'histoire officielle. Mais du coup, l'histoire racontée est basée uniquement sur le point de vue écossais, conduisant ainsi à simplifier et à durcir les rapports. Il est ainsi difficile d'adhérer objectivement à cette représentation manichéenne des peuples, avec les écossais, gentils barbares païens (excepté Wallace, qui a reçu une éducation en Europe), exploités par les méchants anglais barbares civilisés, et manipulés par les méchants nobles vendant leur âme et payant un impôt à l'envahisseur pour recevoir en échange hommes, terres, et pouvoir. Puis dans les détails, il ne me semble pas que Wallace se soit attaqué aux nobles après une trahison de leur part. Mais le plus gros détournement historique revient à la romance entre Wallace et la princesse de France, qui aurait donné naissance à un fils. En effet, cette histoire relève du pur fantasme (elle n'aurait eu que 13 ans au moment des faits), mais j'en comprends la fonction. Il s'agit de faire apparaître l'espoir des deux côtés de la frontière, en Ecosse (le futur Roi d'Ecosse reniera l'héritage de son père, basé sur la trahison et le pouvoir, en étant animé par le même idéal de liberté que Wallace), et en Angleterre (La Reine élèvera son fils selon des valeurs de justice et d'équité, opposées au réalisme cynique d'Edward Le Sec).
Malgré ces simplifications exagérées, les grandes lignes historiques sont quand même respectées, et les autres personnages sont généralement fidèles à l'histoire. William Wallace était vraiment cultivé, nous changeant ainsi du lieu-commun du barbare païen inculte. On pourrait reprocher à Mel Gibson le fait qu'il soit plus âgé que son personnage, mais le travail physique effectué sur son corps, son regard de braise et son charisme qui bouffe l'écran, remportent largement l'adhésion. Ensuite, le roi anglais était bien un génie militaire et tactique, et un tyran qui régnait par la terreur. Il est vrai également que son fils était homosexuel, bien que son ami a été engagé par le roi lui-même, et n'a pas été assassiné de manière aussi brutale (d'autant plus que l'homosexualité n'était pas encore punie par l'Eglise comme telle, mais seulement l'acte sodomite).
Pour terminer, beaucoup de symboles chrétiens contiennent comme une lecture cryptée de l'histoire, conforme aux croyances de Mel Gibson qui trouveront toute leur mesure dans La passion du Christ. Le réalisateur fait ainsi à Wallace un traitement christique, devant libérer son peuple, par les armes (contrairement au Christ), et finissant comme Lui, en martyr :
- La mort du père de Wallace ressemble à celle du Christ (touché à la poitrine et couché en croix), et préfigure sa fin tragique.
- Un des traîtres figurant parmi les nobles reçoit du sang sur le pain qu'il vient de rompre, rappelant le dernier repas de Jésus, et donc la trahison de Judas.
- Un conteur d'histoires raconte que Wallace a coupé ses ennemis en deux comme Moïse coupa la mer en deux, sanctifiant ses actes de violence.
- La purification de Wallace fait penser à la crucifixion, à la fois dans sa forme et dans sa portée symbolique : comme le Christ, il subit la torture pour le faire plier, et offre un message paradoxal au peuple, la liberté active au lieu de la compassion passive.
En conclusion
Heureusement, la puissance du script, se déroulant sans temps morts (les 2h45 du film passent très vite), transcende ces quelques erreurs ou réductions historiques. Et cette double idée défendue (dont provient le titre du film) est très forte, malgré sa simplicité : d'une part, la noblesse du coeur (courage, défense d'un principe, ...) et la liberté, comme principe et pratique, s'opposent à la noblesse officielle (basée sur le nombre d'hommes, de titres, et le pouvoir). Et d'autre part, un individu ne peut rien faire sans l'institution (représentée ici par la noblesse) ou sans le peuple pour le soutenir.
Et paradoxalement, le parallèle existant entre le Christ et William Wallace est peut-être ce qui explique un tel magnétisme et une telle sincérité dans le combat du héros, faisant ainsi appel à l'inconscient collectif des spectateurs. Mais je trouve qu'il est important d'en être conscient simultanément pour ne pas justifier aussi facilement une telle démarche d'identification, conduisant à tous les absolutismes.
Braveheart est un grand film à la fois épique et romantique, dont les quelques simplifications et erreurs historiques sont excusées par son script et sa sincérité.