Black Swan |
Réalisé par Darren Aronofsky
Avec Natalie Portman, Mila Kunis, Vincent Cassel
Drame/fantastique, USA, 1h43 - 2011 |
8.5/10 |
Résumé : Rivalités dans la troupe du New York City Ballet. Nina est prête à tout pour obtenir le rôle principal du Lac des cygnes que dirige l’ambigu Thomas. Mais elle se trouve bientôt confrontée à la belle et sensuelle nouvelle recrue, Lily.
Ce n'était pas gagné, mais au final j'ai beaucoup apprécié Black Swan, et pourtant, la danse, ce n'est pas vraiment mon truc. La première chose qui m'a épaté, c'est ce langage cinématographique qui ne nous lâche pas du début à la fin, comme en témoignent les couleurs du générique : celui du début, tout en noir, annonce la transformation du personnage principal, et celui de la fin, tout en blanc, est le signe de sa libération. Une telle maîtrise visuelle me rappelle celle de Stanley Kubrick.
Il ne s'agit pas que d'un film sur la danse. L'intrigue est relativement simple, inspirée par Les chaussons rouges (Powell) : on suit le parcours torturé d'une jeune danseuse qui a été sélectionnée pour jouer dans le Lac des cygnes, pour interpréter le Cygne blanc ET le Cygne noir. Elle est naturellement douée pour jouer le premier rôle, car elle est pure, innocente, immaculée, parfaite, et son style de danse est tout imprégné de sa manière d'être. Mais pour être sélectionnée, elle doit aussi jouer le second rôle, qui est son parfait opposé : impure, maléfique, instinctive. Pour y arriver, elle doit tout sacrifier à l'autel de son interprétation. Ainsi, le thème principal est celui de la métamorphose (comme dans La mouche de Cronenberg), et ce, à plusieurs niveaux : initiation à la vie d'adulte, que la mère a brimé au niveau affectif (par exemple, la chambre de la danseuse semble être celle d'une enfant de 12 ans avec ses peluches et ses couleurs brillantes) ; accomplissement de l'être en tant qu'individu, traité par la notion de double et de mère omniprésente ; rapport de l'artiste au corps (maigreur des danseuses et mutilations, signes d'un travail compulsif qui absorbe la totalité de la personne), à la vieillesse (la rentrée de la nouvelle danseuse a entraîné la chute d'une ancienne danseuse-étoile qui n'est plus que l'ombre d'elle-même), à la compétition (la paranoïa de la danseuse l'amène progressivement à la folie), et à la perfection (à la fois formelle - mouvements précis et contrôlés - et instinctive - se laisser aller à la passion -). La richesse de ce film évoque pour moi la composition d'un concert de musique classique, avec ses différentes tonalités qui résonnent en nous de manière complexe et appréhendées à la fois par la raison et les sens.
Ainsi, nous avons droit à une mise en abîme intelligente à travers le monde de la danse, en mêlant à la fois fantastique, drame et thriller. Ce qu'on pourrait reprocher au réalisateur, c'est d'en faire trop dans ce sens, et qu'il aurait pu se contenter de traiter la danse sans aspects fantastiques. Mais ce que je trouve intéressant, c'est au contraire cette contamination des genres, qui conduit le spectateur à le faire douter plusieurs fois sur la part de réalité et de fantasme des images, perçues à travers les yeux de la danseuse progressant dans la folie. La réalisation va d'ailleurs dans ce sens, ne quittant pas d'une semelle le personnage principal, collée à elle, et se plaçant souvent de dos, ou plaquée contre son visage et son corps. Enfin, le petit coup de génie du réalisateur consiste à ne pas nous amener à une fin de petit malin, car finalement, elle est nécessaire et logique, s'inscrivant dans un déroulement didactique (un autre point commun avec Kubrick) : ce qui nous intéresse alors, c'est la manière dont la danseuse est conduite d'un point A à un point B.
Au niveau de sa filmographie, le travail du metteur en scène s'inscrit dans la directe continuité de The Wrestler, mais de manière pratiquement opposée : tandis que dans ce dernier, les corps vieux et amochés trouvaient finalement une certaine beauté, dans Black Swan, il s'agit de corps jeunes et beaux qui, à force de travail et d'acharnement pour atteindre la perfection, connaissent la mutilation et la déformation (par la maigreur). Ensuite, les acteurs sont tous très bons, essentiellement Nathalie Portman, qui tient l'un de ses rôles les plus intenses, et Vincent Cassel, parfait en metteur en scène tyrannique et perfectionniste. C'est dommage que la danse soit filmée le plus souvent à hauteur de taille, mais en même temps il était impossible en quelques mois d'intégrer toute une vie de travail. Pour terminer, je voudrais insister sur la qualité de la réalisation, qui nous plonge dans une véritable spirale, un peu comme dans Requiem For a dream : ainsi, nous partageons les souffrances physiques et psychologiques de la danseuse.
Un film que je verrai probablement à la hausse avec le temps.
Un film sur la danse qui aborde le thème de la transformation à plusieurs niveaux. Une véritable composition de musique classique dans son approche.