Coups de feu dans la Sierra |
Réalisé par Sam Peckinpah
Avec Randolph Scott, Joel McCrea, Mariette Hartley
Western, USA, 1h34 - 1962 |
8/10 |
Résumé : Steve Judd, un shérif à la retraite, doit aller chercher l'or d'une communauté de chercheurs et le ramener à la banque qui l'emploie. Il se fait accompagner par son vieil ami Gil Westrum et son jeune protégé Heck. Ceux-ci n'ont accepté le travail que pour s'emparer de l'or. En route, ils sont les hôtes d'un paysan quaker dont la fille Elsa, malgré le refus de son père, se joint à eux pour aller épouser son fiancé Billy au camp de mineurs.
Les papys font de la résistance
Je n'y connais rien en western de John Wayne & Cie, mais ce Ride the High Country - dont le titre original anglais sonne bien mieux que sa traduction française plutôt mensongère -, dans une réalisation apparemment classique, met à mal les codes traditionnels du genre.
Dès l'introduction, on nous montre d'un côté cette nature sauvage et indomptée, terrain de prédilection des anciens cows-boys, et de l'autre, une ville animée, marquée par les progrès de l'âge industriel, dans laquelle les vieux n'ont plus leur place. Les anciennes icônes sont résignées à jouer les phénomènes de foire ou bien à changer de métier. Mais une occasion en or (c'est le cas de le dire) pousse un homme expérimenté et rangé à repartir pour l'aventure avec un vieil ami et un jeune Kid, qui va les entraîner tous deux vers une voie qu'ils n'auraient pas empruntée s'ils étaient demeurés seuls (comme si le présent prenait le pas sur le passé). Ce voyage est l'occasion aux deux générations de se confronter dans leurs forces et leurs faiblesses, l'une renvoyant à la sagesse, la droiture, la loyauté, et l'honneur, et l'autre, à l'énergie, la fougue, et à la témérité. Mais finalement, ils apprendront à compter les uns sur les autres.
Au cours de leur voyage, ils font une rencontre, primordiale pour comprendre la portée du récit à suivre : dans une ferme isolée habitent un Quaker et sa fille. L'un fait des sermons au sujet de l'or et de sa malfaisance implicite, objet de perdition par excellence. Il représente la droiture morale dans ce monde en constante mutation. Et la jeune fille est une fermière qui ne connaît rien du monde extérieur. La rigidité morale du père fera fuir cette dernière vers l'homme qui lui a demandé de l'épouser, et ainsi va faire la découverte du monde réel bien malgré elle : cette apparente sous-intrigue sera ainsi aussi importante que le récit principal.
Lorsque le groupe arrive à la ville de la mine, se dévoile le noyau de l'intrigue. Cet endroit est un lieu de perdition et de cynisme, où les valeurs d'antan n'existent plus, complètement dévoyées. Lorsque le mariage commence sur les chevaux, ça se déroule assez bien, mais la mariée découvre l'enfer en entrant dans le lieu de la bénédiction, qui est en fait une maison de prostituées, comptant un juge de paix qui est un ivrogne ne se souvenant même pas du nom de la mariée. En plus, la famille du marié s'avère très confortable avec le ménage à plusieurs. Bref, l'or transforme négativement tous les hommes ou femmes (comme le père de la fille l'avait annoncé) et il représente également la conquête territoriale, la capitalisation, et le mauvais traitement des femmes.
Enfin, la fin est l'occasion à la jeunesse comme à l'âge mur de prouver leur valeur. J'ai été étonné que les échanges de coups de feu ne durent pas plus longtemps que ça, surtout pour un western, mais ce qui est intéressant ici, outre un climax légèrement éventé, c'est la manière dont chacun joue son rôle, tous en quête de vérité : le vieillard qui a choisi le camp de l'honnêteté et le garde jusqu'au bout, l'autre vieillard qui voulait trahir son ami mais qui finalement se rallie à sa cause (plus pour l'honneur que pour son sens moral), et enfin la relève acquise par le jeune homme alors qu'il pouvait prendre la même mauvaise pente que les mineurs. Et puis j'ai adoré le soucis de l'un des deux vieillards à épargner la scène de sa mort aux deux jeunes, comme si ce moment-là devait épargner une innocence déjà bien éméchée.
En conclusion, j'ai beaucoup aimé ce film, car à l'instar de Il était une fois dans l'Ouest, qu'il préfigure de plusieurs années, je trouve que Peckinpah a su trouvé un double point de vue intéressant pour remettre en question les codes du genre : l'un est classique, celui de la confrontation de la vieillesse à la jeunesse, et l'autre l'est beaucoup moins, celui de la jeune fille, habituellement reléguée au second plan.
Un western à la réalisation classique, mais avec un fond précurseur pour l'époque, révélant en fait la chute des valeurs d'antan à travers le parcours initiatique de trois individus : un vieillard en confrontation avec le monde moderne, une jeune fille découvrant le monde extérieur, un jeune homme recevant le passé en héritage mais devant vivre au présent.