Match Point de Woody Allen
Match Point constitue dans la longue filmographie de Woody Allen, une exception, une perle rare noire sans une touche d’humour, l’unique tragédie pleine d’un auteur qui livre ici son scénario et son film le plus aboutit. Woody en grand recycleur reprend la trame de son Crimes et Délits pour la perfectionner au détail près aidé par un duo éblouissant qui emporte Match Point vers une intensité jusqu’ici jamais égalé dans sa carrière. L’idée de départ est aussi son thème le plus inspiré : la chance. A quel point nos vies sont-elles faites de hasard ? Combien d’évènements se jouent sur des rencontres inattendues ? Notre destin est-il véritablement entre nos mains ? Visuellement incarné par une bague, une balle de tennis qui si elle franchit ou non le filet peut irrémédiablement changer le cours de l’histoire.
Woody Allen narre l’histoire d’un professeur de tennis rêvant d’ascension sociale, de faire quelque chose de sa vie, une première rencontre avec Matthew Goode en dandy aristocrate va lui ouvrir les portes d’un monde bourgeois inconnu à ses yeux. On pourra s’interroger sur sa passion pour Dostoïevski et l’opéra, énième subterfuge d’un héros insaisissable ? Jonathan Rhys-Meyers trouve ici le rôle de sa carrière en grand manipulateur ne délivrant jamais ses pensées et sentiments, il est tour à tour froid, distant, ailleurs et passionné. En s’installant avec la petite fille douce modèle Emily Mortimer, il va petit à petit devenir dépendant, prisonnier de son apparence, du confort et du statut offert par le beau-père Brian Cox.
Dès leur première rencontre, il tombe sous le charme de Scarlett Johansson véritable diamant étincelant et vénéneux au possible incarnation parfaite de la femme fatale cigarette et verre de vin à la main. Tous les deux insatisfaits, s’en suit une compétition ou ils vont faire un choix contraire l’un se laissant dresser par les codes pour fondre dans le moule l’autre en esprit libre disparait après un échange électrique sous la pluie qui n’aura de cesse d’hanter le héros. Forcement leurs retrouvailles sera fusionnelle, le piège se referme Nola présente un tout autre visage celui d’une femme jalouse, à bout qui n’aura de cesse de pousser son homme à tout révéler. Overbooke, n’arrivant plus à jongler avec ses mensonges pour retarder l’échéance, une fin tragique se profile pour le héros. Woody Allen concocte la fin la plus culotté de sa carrière.
Baigné par un unique air d’opéra, la simplicité de la bande son s’allie à l’habituelle pauvreté de la mise en scène de Woody reposant uniquement sur des dialogues ciselés interprété à la perfection. On pourra également reprocher un épilogue policier pas forcément nécessaire venant rallonger artificiellement la fin même si elle amène une belle séquence fantomatique, Woody aurait pu finir sur le regard intense pétrifié plein de remords de Rhys-Meyers qui reprend l’instant d’après sans scrupule son rôle pour conserver sa place dans sa tour d'ivoire.
Grand faignant technique dans l’âme dépassant rarement les deux prises, Woody Allen avoue lui-même qu’il ne fera jamais de grand film, dommage le seul manque à son arc est un enrobage autant visuel et sonore qui aurait permis d’amplifier Match Point. Néanmoins ici on ressent qu’il a peaufiné plusieurs scènes marquantes de sensualité de la rencontre ping-pong, la redécouverte au musée ou encore la dispute à travers un miroir interposé autant de passages portés par la fulgurance d'un duo à son summum qui fait de Match Point un drame mémorable, l'unique joyau virtuose d'une carrière.
9.5/10