Critique de films (3) : Millenium : les hommes qui n'aimaient pas les femmes
De David Fincher
La critique d’un film est toujours délicate lorsque celui-ci est tiré d’un livre qu’on n’a pas lu et qu’il s’agit d’un remake alors qu’on n’a pas vu l’original (suédois). Le propos qui suit manquera donc forcément de repères. Il sera notamment difficile de juger le choix du réalisateur d’occulter toute la partie politique de l’ouvrage duquel le film est tiré. Néanmoins, si l’on prend « Millenium » comme un film à part, on ne peut qu’apprécier ses qualités. Etonnement pour un thriller à suspense, la réussite globale de ce nouveau Fincher tient plus à la façon de filmer (efficace comme d’habitude mais aussi très esthétique) et de raconter l’histoire qu’à l’histoire elle-même. On se laisse bien guider par elle mais sans forcément être hypnotisé. L’antériorité des faits (40 ans) ne laisse d’ailleurs pas une énorme place au coup de théâtre. A l’image des suspects, forcément peu nombreux, les possibilités de dénouement ne sont pas immenses.
Certains regretteront une ou deux longueurs au milieu. Mais on ne s’ennuie jamais malgré les 2h37 qui auraient pu se révéler indigestes. L’ouverture est réussie qui pose parfaitement le cadre de ce nouveau puzzle, à mon goût un peu plus convaincant que « Zodiac », trop foutraque et qui finissait pour tourner en rond.Dans « Millenium », l’intrigue, plutôt lente et dénuée de testostérone - ce qui est plutôt rare lorsqu’on retrouve Daniel Craig dans un long métrage - n’en reste pas moins intéressante à suivre. D’autant que Fincher sait changer de rythme. Dans la dernière demi-heure surtout mais aussi au milieu par à-coups, ce qui lui permet de garder le spectateur avec lui, bien que parfois perdu dans ses paysages enneigés.
On commence par suivre deux destinées parallèles avant qu’elles se retrouvent au bout d’1h15 de film. C’est aussi pour ses personnages principaux dont la relation bien qu’improbable apporte un vrai plus à l’histoire, que « Millenium » est plaisant. Si Daniel Craig qui campe un grand reporter quadra gendre idéal en mal d’amour fait le job, la jeune américaine méconnue Rooney Mara (elle tenait déjà le rôle d’Erica dans « The social network ») est bluffante de maîtrise, de lucidité et de froideur dans on rôle ambigu sur le plan psychologique et sexuel. Il est néanmoins dommage que les membres de la famille sur laquelle le journaliste enquête ne soient pas plus développés. Il y avait pourtant la place. Mais l’ambiance pesante, malsaine voire glauque que Fincher s’applique à créer (fût-ce au prix de deux ou trois scènes de perversion sexuelle parfaitement inattendues et qui valent le détour) lui pompe visiblement beaucoup d’énergie.
Fincher se permet quelques clins d’œil. Les mésaventures de Lisbeth (Rooney Mara) évoquent le chef d’œuvre absolu du réalisateur (« Seven »). Le pré-générique très chiadé et sa BO musclée ne sont pas sans rappeler les ouvertures des 007. Mais Fincher reste avant tout méticuleux comme Daniel Craig qui furète un peu partout (surtout sur son PC d’ailleurs) pour dépoussiérer ce mystère qui le captive mais a surtout pour lui un objet de vengeance. Un milliardaire qui a traîné le journaliste devant les tribunaux bien que visiblement coupable, a réussi à le faire condamner pour diffamation. Ce qui nous donne au passage l’occasion de constater que le monde de la presse en Suède n’a pas grand chose à voir avec le modèle français.
Au final un bon cru Fincher bien sûr en deçà de ses chefs d’œuvre (« Seven » et dans une moindre mesure « Fight club ») mais qui devrait se bonifier au fil des visions tant Millenium foisonne de finesse et de détails ingénieux.
7,5/10