Parfait équilibre entre simplicité et dévoilement des faux-semblantsLe film débute par cette fameuse première scène, montrant une statue qui représente l'esprit ancestral du samouraï. Puis ensuite, on a droit à une autre séquence, que l'on retrouve aussi dans
13 Tueurs (réalisé la même année), illustrant la petitesse de l'individu face à l'énorme bâtiment du clan, portant des siècles et des siècles d'institutions inchangées (d'autant plus que Kobayashi a placé résolument son film vers 1650, lorsque la féodalité était au summum de sa puissance, tandis que la plupart des autres films historiques se situent plutôt autour de 1850, période de transition entre deux époques, pouvant produire un sentiment de nostalgie du passé). Tel est le thème très simple qui traverse entièrement le film : le dialogue apparemment sans importance d'un individu sans possessions avec l'autorité d'un clan puissant, qui doit se terminer en principe par un Harakiri.
Et en effet, ce qui émane immédiatement de ce film, c'est cette simplicité et cette économie du récit qui ne perd jamais son sujet de vue (j'avoue que c'est la première fois que je ne me suis pas ennuyé une seule seconde dans un chambara, malgré la lenteur typique au genre), centré autour de la personne et du récit d'un rônin (Tsugomo) qui apparemment veut se donner la mort selon les rites du samouraï, à cause des conditions de vie devenues très dures pour des personnes de son rang : le Shôgun démantèle peu à peu les clans, et en temps de paix, il est devenu impossible pour les rônins de gagner décemment leur vie. Ces conditions sont d'autant plus difficiles qu'il est interdit à ces personnes, selon le code d'honneur du samouraï, de quémander de l'argent à autrui.
La structure de la narration est ternaire, reflétant trois états de vérité : la vérité, la contre-vérité, puis le jugement critique.
- L'histoire que raconte le maître des lieux au rônin, visant à décourager ce dernier de se donner la mort (dans le code d'honneur, un samouraï peut agir ainsi pour éviter le déshonneur, dont la mendicité fait partie). Elle porte sur un autre rônin apparemment poussé par les mêmes raisons que Tsugomo à accomplir un acte identique. Le pauvre homme, après des hésitations que l'on ne peut encore comprendre à ce stade du récit, réalise finalement le Harakiri. Mais il le fait dans des conditions horribles, puisque certainement à cause de sa pauvreté, il a échangé son ancien sabre par un faux en bois, qu'il doit utiliser nécessairement pour la cérémonie pour respecter le code. Cette scène m'a parue tellement réaliste que j'en avais des frissons. Jusque là, on est saisi par la rigueur et la justesse de la cérémonie, se déroulant conformément à la tradition.
- Ensuite, Tsugomo raconte sa propre histoire, qui ne tarde pas à rejoindre celle qui était racontée par le chef de clan, et propose une contre-vérité : cet homme était en fait son beau-fils, qui avait agit ainsi, car il avait entendu que certains rônins avaient menacé des clans de se faire harakiri s'ils ne leur donnaient pas un peu d'argent : le respect du code est donc pour lui une manière de le détourner, et de sauver sa famille.
- Enfin, il s'agit du cadre dans lequel l'histoire est racontée, et où les deux récits se rencontrent. Ainsi, la grande force de la narration est la manière dont celle-ci fait tomber les apparences, dont la réunion des deux récits forme un jugement critique a posteriori : la vérité du récit donné par le chef de clan, contredite par la véritable raison de la présence de Tsugamoto, nous amène à conclure à l'hypocrisie de l'application du code d'honneur des samouraïs, dont la rigidité formelle rentre en contradiction totale avec les circonstances (on pourrait s'amuser à comparer cela avec l'impératif catégorique kantien) et les sentiments individuels de chacun.
L'outil principal du récit, les flashbacks, est vraiment bien utilisé : il y a une réelle fluidité entre l'histoire actuelle présentant un Tsugomo déjà mort en lui-même (la seule chose à laquelle il tenait, sa famille, n'est plus), et l'histoire racontée qui montre un passé toujours rempli de vie, triste ou joyeuse, malgré l'absence de travail et la maladie. L'une des morales que j'ai retenue est la suivante : bien qu'arrivé au plus bas niveau social et économique, ce rônin était sincère dans ses choix, à l'écoute de ses sentiments, libre de toute contrainte. Mais le vrai malheur est arrivé à deux moments décisifs de sa vie, domaines extérieurs sur lesquels il ne pouvait avoir de contrôle (ou si peu) : le shôgun - machine gouvernementale absurde et égoïste - qui l'a privé de travail et de la possibilité pour lui de s'occuper décemment de sa famille, et le respect aveugle du code du samouraï - tradition ancestrale niant les élans vitaux - qui l'a privé d'un d'être cher.
Tatsuya Nakadai, un acteur très completL'une des très grandes qualités du film, est l'interprétation de Tatsuya Nakadai, qui m'avait déjà épaté dans le rôle du rônin fou du
Sabre du mal, et parvient à faire encore mieux : tour à tour effacé et vidé de tout espoir (déjà mort intérieurement) ou jetant des regards fiévreux et accusateurs lorsqu'il raconte son histoire, pauvre mais heureux quand du récit on passe aux flash-backs, poignant quand le malheur arrive, s'exprimant par pointes d'ironie lorsqu'il s'adresse au chef du clan (et laissant deviner ses intentions réelles), et enfin faisant usage d'une violence tantôt contrôlée, tantôt anarchique pendant les combats. C'est vraiment un délice de suivre chez un acteur un jeu aussi contrasté et maîtrisé. Et dans un film basé sur l'art du récit, on avait besoin d'une voix capable de le soutenir, et là on est vraiment comblé. Quel charisme !
Une réalisation à la fois simple et superbeLa réalisation est comme le récit, simple, épurée, et magnifiée en même temps par sa mise en scène qui va droit à l'essentiel : on passe allègrement de la rigidité des codes dans le palais du clan, à des images plus humanistes lorsqu'ont voit la famille de Tsugomo unie malgré les épreuves, puis à la misère qui accable cette dernière, et enfin à des combats peu nombreux, mais absolument sublimes :
- Le duel se déroulant en haut d'une colline, qui est pour moi tout simplement le plus beau que j'ai pu voir dans un chambara, à la fois relativement long (alors que souvent les duels durent quelques secondes), stratégique (on a affaire à beaucoup de passes diversifiées), parfaitement interprété par les deux combattants (leurs poses sont l'expression du parfait équilibre entre chorégraphie et codification du maniement du sabre), et doté d'une ambiance (herbes flottantes dans l'air, brouillard, demi-obscurité) et d'un cadrage à tomber.
- Le combat final qui, de manière assez classique, oppose un combattant à cent autres, rivalise largement avec les
Baby Cart de Misumi (pour donner un exemple de référence). Bien qu'on sache d'avance que Tsugomo est coincé, on souhaite qu'il emporte avec lui le plus de têtes possibles de ce clan qui fait appliquer le code du samouraï seulement quand ça l'arrange : pour empêcher les rônins de faire la manche car cela fait déshonneur à toute la classe du samouraï (qui renvoie également à l'absurdité du pouvoir politique qui prend des décisions mettant ses sujets sur la paille), ou bien pour se protéger derrière leur devoir au lieu de faire des choix personnels et humains.
On peut maquiller les faits, mais pas sa vérité intérieurePendant les dernières séquences, le clan fait tout pour ne pas perdre la face (un simple rônin osant lui affirmer qu'il a agit à tort). Au niveau de la mise en scène, celles-là font référence dans le thème de la vérité maquillée. Alors que Tsugomo a énoncé sa vérité, mettant à nu la supercherie du clan et son hypocrisie, en terminant son acte de rébellion en mettant au sol la statue de l'ancêtre (en ce sens, symbole du renversement des valeurs), le clan nettoie tranquillement les lieux après le terrible massacre, les lavant des traces du combat, derniers signes qu'une vérité s'y est exprimée. Mais même si le clan a le pouvoir de nettoyer les preuves matérielles, on peut sentir qu'il a été ébranlé en son être intérieur : le combat désespéré de Tsugomo a donc véritablement atteint son but, idéalement, dans la chair, même si l'histoire officielle n'en gardera aucune marque.