Eiichi Kudo termine sa Trilogie par un épisode plus accessible et qui synthétise les précédents films. La narration est simplifiée, la voix off expliquant les événements historiques disparaît quasiment pour se concentrer sur l'essentiel : le sacrifice de quelques individus au nom de leur clan, et les efforts du gouvernement visant la protection du frère du shôgun afin de préserver la puissance du pouvoir central.
Je trouve que les dialogues cèdent peu à peu à l'action (surtout au début et à la fin). La narration et le nouveau cadre de l'action - les éléments naturels -, sont les points forts du film.
Un pouvoir central absurde, injuste, et impitoyableLe fondement du pouvoir féodal et l'absurdité de son existence ont rarement été aussi explicites que dans l'introduction du film. En effet, le franchissement de la frontière du fief, et le meurtre impulsif d'un vassal voisin, dont le clan portera injustement la responsabilité (parce que le responsable du crime n'est autre que le frère du Shôgun, qui affaiblirait le pouvoir central s'il était accusé coupable), expriment à la fois l'injustice du pouvoir politique, et la volonté de ce dernier à accumuler ses ressources territoriales. Même dans leur droit, les petits vassaux se font manger par les plus gros, allumant ainsi la mèche de la rébellion.
Une rébellion qui s'exprime à l'état purLe cadre de la rébellion est très différent des deux précédents, ne se déroulant plus dans les palais ou les rues, mais en pleine campagne, sur le terrain du clan, avec cette magnifique image montrant des ruines de l'ancien château en arrière-plan, témoin du précédent démantèlement du fief. Et l'actuel responsable du clan-victime ordonne directement à l'un de ses vassaux de diriger l'opération-suicide visant le frère du Shôgun. Cette adresse directe et le lieu géographique libéré de toute codification domestique sont les signes d'une rébellion libérée de toute entrave superflue. Seule compte la loyauté des futurs exécuteurs.
Les tueurs sont-ils animés par l'esprit de sacrifice ou le besoin de se venger ?Justement, le personnage principal incarne cette notion du devoir par excellence. En effet, il accepte de tout perdre pour exécuter sa mission : terres, femme (superbe image de tendresse entre elle et son mari, qui lui caresse doucement le visage), et rang. Ainsi, c'est le sacrifice d'un homme (et de ses complices) qui ne portera pas atteinte à l'honneur du clan. D'ailleurs, le seul critère qu'il accepte parmi les autres participants est d'appartenir à ce même esprit de sacrifice. Alors que ces derniers s'apprêtaient à attaquer le frère du Shôgun (et assouvir leur besoin de vengeance), le "héros" leur demandera de se faire Hara-kiri, qu'il empêchera au dernier moment (le beau-frère du héros, qui n'appartient pas au groupe rebelle, essaiera de venger son maître, ce qui se soldera par un échec). Malheureusement, les autres personnages sont à peine développés (moins que dans
Le grand attentat) : on retrouve le cinéma-choral cher au cinéaste, avec des personnages unis dans la loyauté. Seuls deux d'entre-eux sortent du lot : un samouraï rônin qui se joint au groupe in-extremis, lié à aucun devoir, mais qui a la même soif de vengeance qu'eux. Comme le tyran qu'il souhaite exécuter, il est un vestige du passé, appartenant à un monde féodal en train de disparaître progressivement. Les autres personnages importants sont les femmes (plus en retrait que dans
Le Grand attentat), celle du héros dont j'ai déjà parlé (qui se tuera lorsqu'elle saura que son mari ne reviendra pas), et une autre qui est la soeur d'un samouraï tombé malade et qu'elle remplace (dont le rôle est bref, mais important dans une certaine mesure).
Un assassinat sans cesse différéLa structure de l'assassinat est très différente des précédents films. Très rapidement, le groupe d'assassins est constitué, de même que les tentatives des attentats qui s'enchaînent, essuyant de nombreux échecs, mais aussi parce qu'elles n'arrivent pas toujours au bon moment (on voit d'ailleurs qu'un esprit de sacrifice uni est plus efficace que des individus isolés qui se vengent). Et quand ce dernier arrive, il se passe encore trois étapes qu'on ne voyait pas venir jusqu'à la scène finale, se déroulant en pleine nature (voilà de nouveau l'opposition nature/ville). Cette fin est probablement la meilleure de la Trilogie :
- D'abord, une scène en pleine forêt, l'épais brouillard qui bloque la vue, et les bruits de sabots qui précèdent l'arrivée des chevaux. L'attentat se déroule sans encombres en quelques minutes : ce serait la fin idéale, rêvée ... et c'est justement un simple fantasme.
- Ensuite se déroule la réalité. Au dernier moment, le chambellan du clan intervient pour annuler la mission, car le Shôgun lui aurait promis que justice serait rendue. Mais c'était faux. L'espoir d'une mission réalisée sans (peut-être) de victimes s'évanouit.
- Enfin, la bêtise et l'égoïsme du tyran le poussent à s'arrêter à un endroit stratégiquement difficile à défendre. Les assassins en profitent, et c'est un massacre. La bataille qui s'ensuit est un tourbillon de boue, de pluie, de brouillard, et de sang : les éléments se déchaînent, compagnons de la libération, mais aussi de la souffrance des sacrifiés. Le combat se termine par un duel à mort, probablement l'un des plus chorégraphiés de la Trilogie, alors que les autres sombraient dans le chaos (dont l'absence de clarté est compensée par la rage et l'implication des participants). Finalement, il ne reste plus un seul survivant, excepté le ronin vagabond qui décapite la tête du Seigneur et la prend avec lui : tout un symbole, à la fois de tristesse et de cruauté d'un samouraï de l'ancien temps. La voix off, qui avait quasiment disparue, affirme que le pouvoir central a été ébranlé et que le clan oppressé a été sauvé : pour une fois, ces sacrifices humains n'ont pas été vains.
BilanPour terminer, je l'ai apprécié autant que
Le grand attentat (et plus que
13 tueurs, le moins sympathique des trois), mais pour des raisons différentes. La simplification a des hauts et des bas : j'ai trouvé qu'il y avait moins de dialogues marquants (dont certaines synthétisent les états d'âme que l'on rencontrait dans les précédents films), et que les personnages étaient moins développés, mais en contre partie, certains plans sont plus faciles à saisir, il y a davantage de place pour l'action (surtout au début - l'énucléation du pauvre vassal - et à la fin - la décapitation -), et enfin il y a un climax efficace (soutenu par une musique sublime, épousant parfaitement la tension en train de s'installer).
Au final, une trilogie bien nihiliste, exposant des individus qui en perdant tout, y compris leur vie, réalisent leur idéal de liberté et de justice, mais qui n'est pas forcément intégré dans l'histoire officielle. Ce n'est peut-être pas aussi esthétique qu'un Misumi, aussi bien exposé qu'un Kobayashi (selon moi l'un des frères spirituels de Kudo concernant les thèmes), ou encore aussi bien raconté qu'un Gosha, mais je trouve que Kudo a un style bien personnel dans le genre historique (il faut d'ailleurs se munir de quelques connaissances de base sur le contexte pour ne pas être trop perdu), avec ses thématiques (très engagées politiquement parlant) et ses mises en forme propres (souvent signifiantes) qui mériteraient qu'on y prête attention. Sur la durée, je les reverrai certainement à la hausse.