Critique de films (2) : Election 1
De Johnnie To
SYNOPSIS : Les grandes figures de la Wo Shing Society, la plus ancienne triade de Hong Kong, s'apprêtent à élire un nouveau leader. Des rivalités naissent entre deux candidats. L'un est très lié aux traditions de la Triade, l'autre veut les bouleverser, quitte à utiliser la violence et la fraude.Première immersion dans le cinéma de Johnnie To et j’avoue que je suis mitigé. Je remarque que c’est souvent le cas lorsque j’ai beaucoup entendu parler (en bien) d’un film avant de le voir et de me faire ma propre opinion. Ai-je été trop influencé ? M’attendais-je au « monument » que certains décrivent avec tant de passion sincère à n’en pas douter ? Toujours est-il qu’il y a des détails qui m’ont beaucoup plu et d’autres un peu moins.
Une chose est sûre. Election1, s’il ne va pas jusqu’à réinventer le genre, n’est pas, loin s’en faut, un polar singulier. Déjà parce qu’il se passe à Hongkong, ville depuis plusieurs années rattachée à la Chine et que la plupart d’entre nous connaissons assez mal. Là, c’est quand même un premier choc. Le film n’est pas vraiment daté mais il laisse entendre à plusieurs qu’il est contemporain. Pourtant dans la plupart des scènes, on a bien du mal à se représenter notre époque.
Cette troublante sensation de froideur intemporelle bien que l’on reconnaisse une ville du XXIe siècle est due à la façon de filmer de Jonnhie To. Assez sobre et à la fois d’un esthétisme noir très appliqué. Souvent faite de jeux d’ombres pour nous laisser comprendre que contrairement aux apparences, chacun des membres de la Triade reste un gangster avec son côté sombre, quoi que certains veulent bien laisser paraître. Jamais anodine (certains plans semblent millimétrés), la réalisation alterne le ralenti afin de se mettre au rythme d’un film plutôt lent mais jamais ennuyeux. Tantôt virevoltante pour donner toute leur lumière aux longues scènes de dialogues (pas toujours époustouflants) qui campent intelligemment les nombreux personnages et lient les scènes entre elles.
Si le cadre et la technique sont assurément singuliers, les personnages le sont aussi. Jeunes ou vieux, en pleine gloire ou retirés des affaires, puissants ou sans pouvoir, à peu près tous sont animés par le même appétit insatiable : le business. Si les motivations sont communes, To parvient à dissocier les caractères et à donner une certaine épaisseur à la plupart des rôles. Dont certains se révèlent faux. Par contre le jeu des acteurs n’est pas toujours très expressif. Il y a comme un manque d’empathie. On n’est que peu ému, peu inquiet.
Une seconde vision permettra sans doute d’éclaircir certains détails. Mais en le découvrant, Election1 peut se révéler assez déroutant. Si le scénario n’est pas en soi ultra complexe, la ressemblance de certains acteurs, la multiplication des noms sont un handicap à la compréhension de la subtilité de certaines scènes et autres enjeux. On a par moment des doutes sur l’identité d’un personnage.
Par ailleurs la brillante introduction laisse penser que la guerre des gangs qui semble inéluctable va construire une tension crescendo dont on n’ose imaginer jusqu’où elle va aller étant donné que le film est souvent présenté comme violent, voire barbare et sans pitié. Or, cet affrontement que l’on attend tout le film avec impatience n’a en fait jamais lieu. Les visées rivales des camps Lok et Big D ne donnent lieu qu’à très peu d’affrontements physiques.
C’est un peu l’ironie du sort pour moi qui ne voue pas un culte invétéré aux films 100% gunfight que semble être « Breaking news » et son ouverture en plan séquence très connue. Mais j’avoue que je suis frustré de cette quasi absence de testostérone. En fait To est loin de livrer une copie ennuyeuse. Mais l’intrigue repose davantage sur la stratégie, la manipulation et la corruption entre clans que sur une opposition frontale pour la conquête du fameux sceptre qui symbolise la tête de la Triade. Cela donne un polar à la fois noir tinté de légères touches d’humour que la musique très couleur locale enrobe autant que ce qu'elle adoucit les quelques moments de fulgurance ou la malveillance de certaines pensées.
Si les coups de feu et les affrontements à l’arme blanche sont rares, la violence n’est pas absente. Elle surgit dans quelques scènes où l’on ne l’attend pas forcément et a tendance à durer lorsque le véritable visage des personnages se révèle au grand jour. Cependant je ne trouve pas qu’Election1 soit un film violent à proprement parler. J’ai du mal à comprendre qu’il puisse répugner ou même choquer.
Tandis que l’on comprend à regrets que la guerre tant espérée n’aura pas lieu, le final nous octroie un coup de massue inattendu. Il suffit à nous mettre l’eau à la bouche pour découvrir la deuxième partie que l’on espère tout aussi pernicieuse mais un peu plus animée.
7/10