PREDATOR Id. – John McTiernan – 1987

Second film de John McTiernan après Nomads, film à la réputation peu flatteuse, Predator est aujourd’hui reconnu comme un jalon majeur du cinéma d’action des années 1980. Le résumer à un simple film d’action serait une erreur : Predator est un chef d’œuvre (osons le terme) du cinéma en général. Fidèle à elle-même, la critique « institutionnelle » l’a maltraité lors de sa sortie en 1987 mais qu’importe, le temps à parler et le film a désormais la place qu’il mérite dans l’Histoire du Cinéma même si pour certains spectateurs, il ne reste qu’un vulgaire « actionner ». Predator est bien plus que cela. McTiernan est un homme cultivé, les (rares) entretiens qu’il a pu accorder le montrent, et un grand amoureux du cinéma populaire et intelligent. Son film en est la preuve : au génie de la mise en scène se combine une réflexion intelligente et pertinente sur le rapport de l’Homme avec la Nature.
Ce qui frappe au premier abord, et malgré les visions successives, c’est la facilité avec laquelle McTiernan crée une atmosphère oppressante dès les premiers instants où le commando est largué dans la jungle sud-américaine. A une rapide introduction remplie de testostérone façon 80’s, succèdent la musique oppressante d’Alan Silvestri, les plans scrutant une jungle infinie et désespérément vide (en apparence) jusqu'à des cadavres sans peau, tous ces éléments participants au malaise du spectateur qui sent que quelque chose ne tourne pas rond dans cet univers. Même les personnages semblent, malgré leurs imposantes carapaces musculaires, mal à l’aise dans cet univers brumeux et incertains où règnent le chaos et le désordre symbolisé par les multitudes d’arbres qui composent la forêt. Pour maintenir le suspens, un faux coupable est repéré : le camp. Pourtant, dans les arbres, quelque chose guette.


Une jungle brumeuse, dangereuse et des événements indéchiffrables.Alors que l’on s’attend à une déferlante de testostérone mise en avant par la mise en scène, comme l’attaque de la base pourrait le laisser penser, McTiernan surprend par sa maitrise de l’espace. Perdus au milieu d’une jungle immense et sans fin, les personnages vont se retrouver confrontés à un ennemi invisible, mystérieux et insaisissable qui va les décimer un à un. Au fur et à mesure que les meurtres se succèdent, c’est le vernis de la civilisation qui se craque et les personnages, comme figés au départ dans leur rôle d’Américains musclés et sauveur de l’humanité (ce qu’on peut donc voir ironiquement comme le comble, supposé, de la civilisation) révèlent leur humanité et leur peur face à la démonstration de leur impuissance.
L’intelligence de McTiernan passe aussi par la succession des morts. Elle démarre par les personnages que l’on penserait être « en sécurité » du moins pour le début du film. Malin, le cinéaste démarre par le petit rigolo de la bande, puis par le gros bras et enchaîne dans un ordre totalement imprévisible pour parvenir au personnage très intéressant de Billy. En effet, dès le départ, celui-ci nous est montré comme une sorte de mystique, c'est-à-dire qu’il communique avec la nature, semble la comprendre, sa mort (brutale et hors-champ) est donc le symbole de la toute puissance de cet ennemi invisible sur les soldats.


Un ennemi invisible et une menace dans une jungle indéchiffrable.Predator est l’histoire ancestrale du combat entre l’Homme et la Nature. En effet, bien avant l’évangélisme écologique, l’Homme a du combattre la Nature qui, si elle sait se montrer belle et généreuse, peut aussi être meurtrière et dévastatrice. Pour l’Homme des cavernes, la Nature n’était pas généreuse mais bien violente et dangereuse derrière une beauté d’apparence (comme le montrent très bien les films de Werner Herzog notamment) ; celui-ci devant lutter pour survivre parmi des animaux tueurs, le froid, le manque de nourriture,… La civilisation peut être vue comme une arme contre la violence de la Nature. Dutch et sa bande son le symbole même de cette civilisation et de son arrogance, pensant que le monde leur appartient et pliera sous leurs muscle. Mais ici, dans cette jungle, c’est à un tout autre ennemi qu’ils vont devoir faire face : la jungle (et donc la Nature elle-même) personnifiée à travers le Predator. Ce n’est pas anodin si la jeune autochtone nous apprend que les vieilles femmes de son village (les anciens étant des sages, avec une connaissance plus approfondie du monde que les jeunes dans beaucoup de groupes indigènes) l’appellent le « Dieu qui se fait des trophées avec les hommes ». Le Predator est un Dieu, le Dieu de la Nature, de la forêt. Cette même femme disait plus tôt dans le film, après le premier meurtre, « la forêt est venue et l’a emmené ». Le chasseur est l’esprit de la forêt et de la Nature. Cela est souligné notamment par la mise en scène de McTiernan, fixant des points distincts dans la forêt où, grâce au seul génie de la mise en scène et de la musique de Silvestri, le spectateur (et Billy) sent qu’il y a quelque chose de tapi dans ses arbres. Quelque chose que la caméra n’arrive jamais à saisir : les branches et les lianes laissant apparaître d’autres branches. Seul le contre-champ, en vision subjective, permet de saisir cette entité invisible, comme si c’était la forêt elle-même qui observait les personnages. C’est une caractéristique fascinante du Predator : sa capacité à se fondre littéralement au décor, à la jungle et à ne faire plus qu’un avec elle. De même, il connait parfaitement le terrain, ce qui lui permet de rattraper Dutch plus d’une fois ou de surprendre ces futures victimes. Comme si le Predator était partout à la fois.


Un ennemi qui se fond dans le décor et Dutch qui se fond à son tour dans la jungle.Cette chasse à l’homme peut alors être vue comme la vengeance de la Nature sur l’arrogance de l’Homme civilisé débarquant au sein de cette forêt avec la ferme intention d’en découdre avec ce qu’elle cache. Mais pour survivre à cette chasse grandeur nature, l’Homme va devoir retrouver ces réflexes d’antan, ceux que la civilisation avait justement fait disparaître en le préservant de la violence de la Nature. C’est un retour à l’état sauvage que va devoir opérer Dutch pour triompher de la bête. Il devra apprendre à se fondre à son tour dans le décor, à utiliser la jungle à son avantage pour prendre le chasseur rasta à son propre piège (d’ailleurs, on remarque qu’il triomphe alors que le Predator pensait contourner un de ses pièges). Derrière son apparence de film décérébré, on voit que Predator est un film extrêmement bien pensé, faisant appel à des notions quasi mythologiques et ancestrales qui permettent au film d’être toujours pertinent et de parler à tous.


Un ennemi partout à la fois, rapide et avec une parfaite connaissance du terrain.Il faut également parler absolument de l’extraordinaire dernière demi-heure du film. Celle qui correspond justement au retour à cet état sauvage. Il faut noter que cette partie est totalement muette et c’est sans paroles que McTiernan va conter la suite de son histoire alors que le spectateur est déjà éprouvé par ce qu’il vient de voir auparavant. Le génie de conteur de McTiernan prend son ampleur ici. Tout est d’une lisibilité rare même dans les films dialogué et le cinéaste ne perd jamais son spectateur qui comprend tout ce qui se passe dans la seconde même lors des passages de nuit. Pour mieux l’illustrer, un exemple s’impose. Prenons la scène où Dutch comprend la protection que lui offre la boue. Après avoir survécu à un courant d’eau, Dutch rejoins le rivage et se repose [1]. Le Chasseur saute dans l’eau et Dutch n’a que quelques minutes pour se cacher. Son corps rempant s’enduit alors de la boue du rivage [2]. Il n’a pas son arme (il ne peut donc avoir recours au symbole ironique de la civilisation) [3] et tente difficilement de se fondre dans le décor formé par les racines d’un arbre [4]. C’est alors que le Predator émerge de l’eau et recherche du regard Dutch [6]. La tension est alors à sa apogée et cela uniquement par le génie de la mise en scène : le Predator fixe un endroit, le raccord est effectué sur son regard puis celui de Dutch, de sorte que l’on a l’impression que le chasseur fixe précisément l’endroit où se cache Dutch et qu’il l’a donc repéré [5,6,7,8]. Contre champ en vision subjective : une trace de chaleur corporelle apparaît dans le viseur du chasseur [9], le spectateur pense que Dutch n’était pas entièrement recouvert de boue mais il n’en est rien, c’était juste un rongeur. Le chasseur s’en va, Dutch comprend le subterfuge [10,11]. Sans aucun dialogue, le cinéaste a construit une des scènes les plus tendues de son film.


Bien sûr, on pourrait aussi parler de l’interprétation sans faille délivrée par un casting au sommet de sa forme, de cette amitié virile qui lie ces mercenaires, de la musique inspirée de Silvestri (que l’on a déjà quelque peut évoquer), de ces 1h40 qui passent toujours aussi vite visions après visions, de même que cette tension qui s’amplifie à mesure que l’on connait le film,…
Predator est un des plus grands films d’action qui soient, un festival de tensions mené tambour bâtant et mâtiné d’une réflexion pertinente et intelligente sur notre rapport à la Nature, le tout devant la caméra d’un génie du cinéma.
« Pourquoi faire appel à nous ?
Parcequ’il y a un connard qui prétend que t’es le meilleur ! ».10/10