Fahrenheit 451 |
Réalisé par François Truffaut
Avec Oskar Werner, Julie Christie, Cyril Cusack
SF, FR/ANG, 1h52 - 1966 |
7/10 |
Résumé : Dans un pays indéfini, à une époque indéterminée, la lecture est rigoureusement interdite : elle empêcherait les gens d'être heureux. La brigade des pompiers a pour seule mission de traquer les gens qui possèdent des livres et de réduire ces objets en cendres. Guy Montag, pompier zélé et citoyen respectueux des institutions, fait la connaissance de Clarisse, une jeune institutrice qui le fait douter de sa fonction. Peu à peu, il est à son tour gagné par l'amour des livres.
Premier film colorisé de Truffaut et unique participation en anglais, on change aussi de genre, la SF, mais sur un sujet qui le tient à coeur : les livres. Pour cela, il a un script en or, puisqu'il s'agit de l'adaptation de Fahrenheit 451 écrit par R. Bradbury (que j'ai d'ailleurs adoré). Ces hommes du feu, de par leur action et leur apparence (tout en noirs), évoquent bien sûr les S.S. qui agissaient de même pendant la deuxième guerre mondiale (par ironie, on aperçoit Mein Kampf parmi ces livres), et par extension, tous les régimes interdisant la liberté d'expression.
Les images et l'uniformité ont remplacé les mots et l'imagination
Les télé-écrans (ressemblant aux écrans-plats d'aujourd'hui) ont rempli totalement l'espace (la mode est d'en mettre un à chaque mur), par peur de la différence et des sentiments (le malheur ET le bonheur, bien qu'ils croient être heureux). La femme du personnage principal appelle ces artefacts sa "famille" et participe à un jeu télévisuel où soit-disant elle joue un rôle important (cette scène est fabuleuse : les acteurs introduisent une péripétie toute moche, et quand c'est au tour de la femme, ils la fixent des yeux et une grosse lumière rouge s'allume accompagnée d'un gros bip afin d'indiquer le moment de sa participation). Cette uniformité du comportement est transmise dès l'enfance à travers l'école - lieu affreusement terne et symétrique - qui enseigne uniquement l'algèbre.
Aucune liberté
Le retour du même (pas au sens Nietzschéen, mais au sens du 1 = 1) implique une totale absence d'initiative, car il n'y a pas de choix différent de la norme en perspective. Ainsi, même lorsque les pompiers fouillent un parc de jeux pour enfants, personne ne réagit.
L'espace de la personne est entièrement conquis : les photos indiquent un sentiment d'une surveillance omniprésente, captant le derrière de la tête (dans le même sens quelques scènes introduisent un split screen qui coupe l'image en deux, comme un rideau noir réduisant le champ de vision).
Non seulement la loi oblige les gens à faire de la délation concernant les possesseurs de livres, mais c'est devenu une loi quasiment naturelle, car l'esprit ainsi habitué, il ne peut plus supporter le contenu de ces livres, exprimant des choses enfouies en soi-même, alors qu'on se cache derrière la superficialité des occupations, des conversations, ou encore la banalité des drogues qui inhibent le comportement et mettent la santé des gens en danger.
Les hommes-livres
Les livres expriment des choses, tristes ou heureuses, pour lesquelles il ne semble pas avoir de mots, ou bien développent le pouvoir de l'imagination et ainsi nous montrent qu'un autre monde est possible. Bien qu'ils soient pourchassés, les Hommes-Livres semblent limiter également le champ de possibilités, car ils deviennent ainsi le contenant d'un contenu qui leur est - à première vue - étranger. En même temps, les livres deviennent alors vivants, incarnés ("derrière chaque livre, il y a homme" ou une femme), et sont transmis de génération en génération (très belle scène d'un oncle qui récite par coeur un livre à son filleul avant de mourir pour qu'il l'apprenne à son tour). C'est la double conséquence d'une telle société qui n'autorise pas de garder des livres.
La représentation du futur proche par Truffaut
Aujourd'hui, il est certain que l'univers dépeint par le film semble kitsch et désuet (un cousin germain de Brazil) : le métro suspendu à l'envers dans les airs ; le look des pompiers et de leur camion ; les écrans-plats). Ce qui paraît normal, car il s'agit d'un futur proche, composé à la fois d'un présent contemporain, et d'éléments futuristes réalisables.
Mis à part ces quelques détails, ça reste plutôt sobre, et j'aurais apprécié une mise en scène un peu moins sage (par exemple, j'aurais bien vu comme dans les Ailes du désir, un passage du N & B à la couleur lorsque Guy commence à lire, afin d'appuyer le retour de ses sentiments).
Mais la grande réussite du film a été de concentrer le message du livre sans le dénaturer, dont l'universalité transcende l'esthétique à présent dépassée.
Un film de SF un peu vieillot, mais au message encore cruellement actuel. Un classique dans le genre de l'anticipation.