Introduction : Selon moi, le deuxième livre était le plus compliqué à adapter, du fait de ses histoires parallèles (Merry et Pippen ; Aragorn, Gimli, Gandalf, et Legolas ; Sam et Frodon. Puis Saroumane et Arwen bien qu'ils n'apparaissent pas dans le roman). Pour une meilleure compréhension, P. Jackson a préféré restaurer la chronologie au détriment du rythme et des ruptures de ton. Mais au fur et à mesure des revisions, je trouve que ça fonctionne généralement bien grâce à des bons choix de coupes (on ne sait pas si Merry et Pippen survivent ; on ne sait pas si cette apparition blanche est Gandalf ou Saroumane ...), mis à part peut-être pendant le Gouffre de Helm, et encore, même ici je trouve que le montage alterné a du charme et un certain sens.
J'ai oublié de dire qu'on a préféré terminer le premier film par la mort tragique de Boromir (dans le bouquin, c'est au début du second tome), et je trouve que c'était le bon choix narratif et dramatique possible cinématographiquement, car elle représente ainsi la croisée des chemins des compagnons et la fin de la communauté des neuf, et donc le début d'une nouvelle aventure.
Comme chacun des SDA,
Les Deux Tours commencent par un événement captivant et qui donne le ton de l'épisode. En choisissant le combat de Gandalf contre le Balrog (qui sera seulement évoqué plus tard), on réanime ainsi l'espoir de la réussite de la communauté par le biais de la renaissance du magicien (ce retour providentiel est un peu trop fantastique à mon goût : on dirait qu'il s'agit de Jésus, ressuscité pour terminer sa mission. Par contre la double voix Gandalf/Saroumane accompagnant sa soudaine apparition est une bonne idée, d'abord car elle renforce la surprise de le voir à la place de Saroumane qu'on voyait rôder souvent dans la forêt, et ensuite pour montrer qu'il est devenu tel que ce dernier aurait dû être). Pour compléter mon hypothèse concernant les introductions, je dirais que dans le premier SDA, la guerre du 2nd âge montre la faiblesse des hommes et ainsi renvoie aux dilemmes intérieurs d'Aragorn et de Boromir. Et dans le troisième SDA, la transformation de Sméagol en Gollum renvoit à la condition des porteurs de l'Anneau, Gollum et Frodon, aisément capables de tomber du côté obscur.
Première partie de la Version LongueRohan : Le royaume de Rohan est assez convaincant visuellement, essentiellement grâce à la capitale qui n'est pas surpeuplée, à l'image des peuples vikings qui sont comme leur modèle spirituel, dont la musique à grands renforts de violons mélancoliques et l'architecture basse, solidement ancrée dans la terre, attestent la ressemblance.
Le personnage de
Eomer est bien crédible, fidèle à son roi et à son peuple, allant jusqu'à se faire bannir par Langue de Serpent (bien qu'il n'a pas été condamné de la sorte dans le roman, je trouve que cette exclusion témoigne paradoxalement de sa fidélité, en continuant à défendre le Rohan contre ses adversaires malgré cette décision injuste le concernant).
L'envoûtement du roi
Theoden – qui ressemble à une possession à la manière de
L'Exorciste – n'était pas dû aux pouvoirs de Saroumane dans le roman, mais davantage à
Langue de serpent, qui porte bien son surnom. L'entrée de Gandalf et de sa suite n'a pas été empêchée par les hommes de main du conseiller, mais au contraire bien accueillie, même si en même temps, d'un point de vue dramatique, ça montre combien ce bras droit a été impliqué dans les arcanes du pouvoir. Dommage que ce tour de force physique diminue ainsi la profondeur de la psychologie de Langue de serpent (habilement interprété par Brad Dourif), à la fois machiavélique, subtil, et sournois, bref, qui a son intelligence propre et n'est donc pas un simple suiveur. En outre, Theoden ne venait pas à lui grossièrement avec son épée, lui qui fut jadis un ami et à présent un traître, mais lui proposait sagement, tel un roi ayant retrouvé toutes ses facultés, soit de l'accompagner à la guerre et ainsi de lui prouver sa fidélité, soit de retrouver Saroumane et donc de confirmer sa traîtrise. Enfin, le peuple de Rohan ne s'enfuit pas au Gouffre de Helm, mais au contraire se réunit là-bas pour la guerre : ce changement est plus réaliste, moins héroïque, et insiste sur le faible espoir de résister à l'armée de Saroumane, et ainsi n'est pas hérétique à l'esprit du roman. Bref, tous ces petits changements, à défaut de suivre le roman à la lettre, permet de souligner la fragilité des hommes, ce qui n'est pas un mal tant les figures héroïques de Tolkien semblaient parfois un peu trop propres sur elles.
Eowyn : les personnages féminins sont très rares dans le SDA, et ça aurait été dommage de rater celui de Eowyn tant celle-ci se révélait touchante. Je trouve justement qu'il est relativement réussi, en insistant sur son attirance (admiration?) d'Aragorn, et sur sa condition de Dame de Rohan qui l'oblige à rester en arrière avec les vieillards, les femmes, et les enfants (dans le roman, c'était encore pire, puisqu'elle devait rester au château pour garder la place) alors qu'elle est guerrière-née. Ensuite, sa présence au Gouffre de Helm (encore une fois, ce n'est pas dans le bouquin), par son insistance à se joindre au combat au lieu de s'occuper des plus faibles, préfigure déjà sa participation future. Enfin, je trouve que sa chanson funèbre en l'honneur de son cousin ajoute à sa fragilité et à l'émotion de l'enterrement qui en manquait légèrement dans la Version Courte.
Chasse aux orcs : Le talent de pisteur d'Aragorn n'est pas assez mis en valeur, sauf lorsqu'ils arrivent jusqu'au charnier laissé par les cavaliers de Rohan, et Aragorn désespère un peu trop rapidement de ne pas trouver les Hobbits parmi les corps des orcs – bien que ça le rende plus humain -. Ensuite, Gimli apparaît déjà comme celui qui allège l'atmosphère en se faisant passer pour le bouffon de service, et l'elfe sort quelques phrases poétiques (« le ciel est rouge, il y a eu un massacre »), dont le rendu est moins efficace au cinéma qu'à l'écrit (et ainsi leur amitié elfe-nain, profonde dans le roman, est ici tournée à la rigolade). La chasse paraît assez rapide, mais je comprends qu'on ne peut trop s'y attarder, car il y a tellement d'autres choses à raconter. Enfin, la tension entre les deux races d'orcs, celle de Mordor et de Saroumane, est bien palpable rendue (avec au milieu de la dispute : la chair des Hobbits), et se termine sur une décapitation et une éviscération bien ragoûtantes.
Forêt de Fangorn :Je la trouve plutôt réussie, bien qu'il manque la référence à la Forêt noire – étape supprimée de la
Communauté de l'Anneau qui conduisait les quatre Hobbits à la demeure de Tom Bombadil – sombre et maléfique, comme point de comparaison, pour montrer ainsi que la forêt de Fangorn est seulement vieille et luxuriante, et pas mauvaise en soi. Le clin d'oeil au lieu supprimé du Premier Livre avec l'Homme-Saule est bienvenu, montrant un autre aspect des arbres éveillés, qui ne sont pas tous bons comme
Sylvebarbe. La personnalité de ce dernier est bien rendue, avec son débit lent, ses jugements non hâtifs (effectivement, le premier point du conseil qui va durer une éternité sera de décider si les Hobbits sont des Orcs), et la poésie en ressort, dénotant une notion du temps qui s'étire en longueur et endort les Hobbits.
Gollum et les Hobbits : La réussite des
Deux Tours reposait entièrement sur celles de Gollum et du Gouffre de Helm. Heureusement, la créature est l'un des succès esthétiques et psychologiques de la Trilogie. Contrairement à Star Wars I, on a jamais l'impression que les acteurs regardent dans le vide en sa direction. Puis sa psychologie a été très bien pensée : son dilemme entre aider les Hobbits et les trahir a été résolu de façon astucieuse en le rendant schizophrène, se dédoublant ainsi entre sa personnalité de départ encore bonne (Sméagol) et ce qu'il est devenu à cause de l'anneau et de son besoin de survivre (Gollum). Enfin, c'est incroyable ce que son simple regard peut transmettre comme émotions.
Faramir : Sa participation débute avec une belle réflexion non manichéenne sur les morts qui rendent tous les humains égaux, et les motifs de la guerre qui ne sont jamais totalement bons ou mauvais, et contiennent toujours une part de bonne intention de départ. Par contre, la manière dont il retient les Hobbits n'est pas dans le roman, alors qu'il possédait une âme beaucoup plus sage que celle de son frère Boromir. En même temps, je trouve que ce changement permet ainsi d'insister sur l'effort que Faramir doit fournir pour sortir de l'ombre de son frère – dont la présence est renforcée par un
Flashback rappelant un jour de gloire de Boromir – et pour ne plus compter sur l'estime de son père, afin de faire ses propres choix, justes ou mauvais, et devenir tel qu'il apparaît dans le roman.
Saroumane :
Ce personnage est encore bien présent dans ce film. Il apparaît d'abord comme le méchant de cet épisode, et analyse son propre rôle dans l'histoire - qui était déjà suggéré dans
La communauté de l'anneau - : l'âge de l'industrie et l'effort de guerre sont liés, et remplacent à terme la nature (cette pensée est d'ailleurs au coeur de celle de Tolkien). Narrativement, je trouve cette auto-analyse lourde et redondante, bien qu'intéressante sur le fond. Mais ce n'est rien à côté du
Retour du roi qui contient encore plus de balises pour les nuls.
Seconde partie de la Version LongueLe parallèle entre les histoires qui se déroulent dans la seconde partie du film est pour moi le plus casse-gueule des
Deux Tours, car il est difficile de maintenir la tension existant au Gouffre de Helm, tout en traitant en même temps le Conseil des Ents qui a réputation de durer des plombes, et également la tentative de Faramir de prendre l'anneau à Sam et Frodon alors que cette partie du scénario n'existe même pas dans le livre – cette modification a été faite pour donner plus d'applomb à cette partie de l'histoire, puisque l'affrontement avec Arachne n'aura lieu que dans le
Retour du Roi -. Généralement, j'ai trouvé que le passage d'une histoire à l'autre est assez réussi d'un point de vue narratif, bien que dramatiquement parlant, le rythme est quand même bien plombé.
Le gouffre de Helm :Pour commencer, les loups d'Isengard sont dans le livre une menace lointaine, mais qui n'atteint jamais la troupe du roi Théoden en marche vers le gouffre de Helm. Ainsi, cette bataille est une invention du film, bien que cette armée de l'ennemi existe en fait. Elle complique le voyage, surtout qu'Aragorn tombe dans un ravin (qui fait le malin …). C'est lui-même qui va avertir le gouffre de l'arrivée de l'armée de Saroumane, alors que c'était un simple cavalier à la base, et c'est également l'occasion de remettre une couche avec Arwen (ce qui n'est pas inutile pour comprendre l'état d'esprit d'Aragorn, mais qui plombe le rythme du film déjà bien chargé) pour maintenir son lien amoureux avec Aragorn, à l'aide d'un flash-back expliquant leur histoire (qui existe vraiment en Appendice en dans les Contes et légendes inachevées).
La maquette du Gouffre de Helm est une petite merveille du genre, ainsi que l'arrivée des Orcs. Je n'avais encore jamais ressenti un tel plaisir concernant la marche d'une armée dans un film, aussi bien d'un point de vue visuel que sonore. Ensuite, l'arrivée surprise des elfes venant gonfler les rangs de la défense – qui ne se trouve pas dans le roman – m'a bien plue, et vient en plus nourrir la réflexion des elfes sur la mort, qui a commencé avec le choix d'Arwen de suivre Aragorn ou non, et ainsi de perdre ou pas son immortalité (d'un autre côté, c'est vrai que ça paraît en contradiction avec le départ des elfes partant pour les Havres Gris, le temps des hommes étant arrivé). La bataille est bien rendue, bien découpée (malgré le montage de ces scènes en alternance avec celles du Conseil des Ents), et j'ai beaucoup aimé le comptage de Legolas et de Gimli des adversaires vaincus. Seuls points noirs : la descente en bouclier de Legolas qui joue au super-héros, et Gimli qui fait un peu l'imbécile (par exemple : cotte de mailles et murs du gouffre trop grands pour lui), et peut-être la capacité au combat relativement limitée des elfes surtout en comparaison aux paysans peu expérimentés.
Le Conseil des Ents : Le scénario met l'accent sur la neutralité habituelle des Ents, qui ne se sentent pas concernés car personne ne pense à eux. Puis, la lenteur du déroulement du Conseil est parfaitement rendue : les Ents prennent un temps infini sur peu de choses (« Bonjour » prend 3 heures), avec les interventions de Sylvebarbe « ne soyez-pas pressés Messieurs Hobbits ». Par contre la décision finale du Conseil est complètement différente du roman, car ici ce sont aux Hobbits, par la ruse, que revient l'honneur d'avoir convaincu les Ents de partir en guerre, qui sera montrée – dans le roman elle est seulement l'affaire de flash-backs - en alternance avec la fin du siège du gouffre.