SOUDAIN L’ÉTÉ DERNIER | 9/10
A T T E N T I O N P E T I T S S P O I L E R S I N S I D E
Piouh, incroyablement dense et passionnant, Soudain l'été dernier fait partie de ces films qui vous prennent en otage de leurs images pendant un peu moins de deux heures sans relâcher la pression. En l'espace d'une bonne demie heure, Mankiewicz construit une grande partie du puzzle mental qui nous est proposé, suffisamment en tout cas pour nous ôter une quelconque envie de nous désintéresser du sort de cet énigmatique Sebastian, personnage mystique que l'on construit au fur et à mesure que le film avance. Soudain l'été dernier est l'oeuvre d'un dealer de séquences à l’esprit peu commun qui fait de vous sa victime dès les premiers ronronnements du projecteur.
A travers de nombreuses métaphores, parsemées dans des dialogues tortueux aux multiples sous entendus, l'histoire s'installe avec brio pour placer tous les personnages qui vont lui donner vie, aussi bien les absents que les moteurs de l'intrigue. Sebastian, au centre de toutes les attentions est un personnage que l'on ne verra jamais véritablement mais qui pourtant nous parait très limpide à la fin du film d’ailleurs construit comme une enquête policière en milieu hospitalier. A travers les déclarations de Catherine, la cousine du défunt, déclarée comme instable psychologiquement, il est en effet question de démêler le vrai du faux pour connaître les circonstances de la mort du fils prodigue.
Hormis cette histoire aux allures d’enquête policière qui fait de Soudain l'été dernier un film mémorable, c'est également à travers ses acteurs qu'il impressionne. Elizabeth Taylor y est non seulement sublime mais surtout complètement hallucinante dans ses nombreuses tirades et rend crédible un jeu du chat et de la souris avec son médecin et ses détracteurs qui pourrait sembler un peu convenu au début du film. En femme torturée par ce qu'elle a subi et l'adversité qui lui fait face, elle parvient tout de même à faire de son personnage cette femme fatale dont tout homme tomberait sous le charme en un clignement d'oeil. Lui faisant écho en mère diablement protectrice, Katharine Hepburn est redoutable en femme glaciale et intransigeante, faible uniquement face à son fils. Le duel générationnel entre les deux femmes est troublant et passionnant, même si on regrettera le côté un peu convenu de son dénouement. Sur des charbons ardents entre les deux tigresses se dresse un toubib qui arrive à trouver le ton juste mais souffre de la prestation de ses deux partenaires, devenant davantage un faire valoir de l'histoire qu'un réel élément moteur .
Mais plus que cette histoire passionnante et ce duel dantesque d’actrices, c’est bien à travers son script que Soudain l’été dernier se révèle être une bobine au punch ravageur. Complètement psychotique, créatif en diable, Mankiewicz aborde dans son film bon nombre de sujets d’ordinaire assez peu traités car labélisé taboo. Ainsi c’est tout le glossaire de la psychanalyse qui est passé au peigne fin et illustré sans retenue. En plus des séquences dans l’asile où l’on assiste carrément à une lobotomie en direct, le réalisateur nous dépeint une famille qui navigue en eaux troubles par un ciel pourtant bien clément. La relation entre Sebastian et sa mère est claire et définie dès le début du film comme limite incestueuse (en tout cas pour la mère) . Elle est d’ailleurs à l’origine de cette chasse aux jeunes éphèbes dont se nourrit le fils poète après que sa mère, tant que sa beauté le lui permet, puis sa cousine reprenant le flambeau, a fait le travail d’approche. Mine de rien, c’est quand même ultra couillu comme approche et ça montre bien que Mankiewicz ne fait pas de compromis, se plaisant par la même à donner son avis sur les sujets qu’il traite. On avait déjà un peu ce sentiment dans La porte s’ouvre qui traitait du racisme, mais là c’est clairement plus bourrin, il enfonce des portes habituellement cachées par un rideau de soie, et c’est assez troublant.
Soudain l’été dernier se révèle donc être une œuvre majeure dans la filmo d’un réalisateur qui n’a pas l’image dans sa poche et sait s’entourer des bonnes personnes pour tirer le meilleur de son histoire. Pour le coup, je sors du film vraiment emballé et, je dois bien l’avouer, encore sous le charme d’Elizabeth Taylor (ça va ptet me motiver pour Cléopatre
) !