Yojimbo |
Réalisé par Akira Kurosawa avec Toshiro Mifune, Tatsuya Nakadaï, Eijiro Tono, Takashi Shimura
Chambara & western, Japon, 1h45- 1961 |
8/10 |
Résumé : Dans le Japon du XIXème siècle, deux clans rivaux se partagent une petite ville et font régner la terreur. Par les caprices du hasard, un samouraï errant arrive dans cette petite ville et va offrir ses services à l’un et l’autre clan…
Bien avant l’Homme sans nom de Sergio Leone, il y eut le samouraï au nom de fleur de Kurosawa. Le premier doit indéniablement tout au second, car
Pour une Poignée de dollars est bien plus qu’une relecture de
Yojimbo, il en est la copie conforme, tant au niveau du scénario, des traits de caractères du personnage principal que de l’ultra stylisation de la mise en scène. Le surnom de manchot de l’un fait assurément écho, à la manière dont l’autre place son bras dans son kimono, on observe aussi des similitudes dans le duel final en travelling arrière avec alternance de gros plans sur les personnages. Le samouraï de Kurosawa est un ronin désabusé, manipulateur et amoral qui attise la discorde entre les deux clans pour en tirer profit. C’est ce modèle de personnage pas manichéen, véritable anti-héro qui séduira Leone ou Corbucci et servira de base fondamentale au
Western Spaghetti.
Kurosawa nous offre un chambara teinté des codes du western. Tout dans la structure et les décors rappellent l’ambiance du Far West. Un étranger, solitaire et taciturne arrive dans une ville où les habitants vivent sous le joug de deux bandes rivales de gangsters. Des rafales de vents balayent le paysage désertique d’une ville presque fantôme. On appréciera ce petit clin d’œil au
Train sifflera trois fois, avec le duel annoncé à midi. Par contre,
Yojimbo se démarque de l’ambiance du western classique sur un point essentiel, l’humour, tout à la fois noir et burlesque. D’un côté les répliques cyniques de Sanjuro, de l’autre les gangsters aux trognes tordues et patibulaires traités comme des personnages pathétiques et grotesques. Kurosawa, pacifiste convaincu illustre son film de quelques scènes cocasses pour se moquer de ces hommes qui ne vivent que par la violence. On croise par exemple, une sorte de géant qui porte une masse, mais le summum de la dérision est atteint, dans cette scène où Sanjuro jauge les deux clans, perché sur un promontoir à la façon d’un arbitre de tennis et observe les hommes des deux camps rivaux prêts à s’affronter, qui avancent d’un pas hésitant, pour mieux reculer de quatre. A signaler également cette scène, à la limite du burlesque et de l’incongrue, d’un chien qui traverse la rue principale déserte avec une main tranchée dans la gueule ou encore ce charpentier reconverti en croque-mort et le maître d’armes qui se carapate avant les hostilités.
Yojimbo a indéniablement des accents de comédie et le film ne se prend pas trop au sérieux, même s’il est aussi parsemé de moment de noirceur, comme cette scène de torture brutale qui mènera à la vengeance ou celle du massacre du clan Sebei.
Yojimbo est assurément l’un des films les plus optimistes de Kurosawa qui verse souvent dans le pessimisme (le film est une parabole assez édifiante sur la violence et l’immoralité des élites inhérentes à la société japonaise), car finalement l’humanité et la compassion même fugace l’emporte sur l’intérêt.
Ajoutons que la prolifération de manœuvres et de stratagèmes, d’enjeux secondaires, de personnages et de morts fait aussi écho à certains codes du roman et du film noir. Yojimbo s’inspire de deux romans de Dashiell Hammett, la Clé de verre et la Moisson rouge.
Un petit mot sur la bande originale de Masaru Sato qui a un rôle prépondérant et se fond dans la mise en scène. Elle accompagne chaque humeur et chaque action, mélange de tonalités ironiques, humoristiques, westerniennes et dramatiques. Sergio Leone magnifiera ce concept, Ennio Morricone assumant pleinement le rôle de scénariste lyrique de ses films dans lesquels la musique se substituera bien souvent à la parole.
Toshiro Mifune est comme toujours impérial et charismatique dans le rôle de ce samouraï sans maître, mercenaire dépenaillé, habile au sabre, solitaire et rusé. Sanjuro, c’est un peu la « coolitude » incarnée. J’aime la façon dont le personnage est introduit dans l’histoire, par une caméra qui le suit au plus près et de dos. Il s’arrête et laisse le hasard guider ses pas. Face à lui, parmi la cohorte de personnages vils, se distingue Unosuke interprété par l’excellent Tatsuya Nakadaï. Homme cruel et symbole du futur, le seul qui possède un revolver. Le duel final entre Sanjuro et le clan d’Ushitora est un modèle du genre qui n'a rien à envié aux meilleurs duels du western.
Le film est marqué par quelques petits défauts, notamment ce faux rythme qui le dessert. Certaine scènes paraissent interminables : l’épisode de la captivité, celui du transport du cadavre ou encore la mort d’Unosuke. Seul Sanjuro se détache du lot, les autres personnages sont volontairement traités sur le mode de la caricature, un parti pris qui fait qu’ils manquent presque tous de profondeurs.
Comme toujours Kurosawa livre un film remarquable qui doit autant à sa mise en scène qu’à l’interprétation de Toshiro Mifune. Certainement l’une de ses oeuvres les plus divertissantes et les plus ludiques avec sa suite Sanjuro. J’ai une légère préférence pour le second épisode dans lequel je trouve Toshiro Mifune encore meilleur. En fait, dans le deuxième opus, les adversaires de Sanjuro sont moins traités sur le mode de la dérision et gagnent en profondeur, du coup les enjeux sont plus intenses.