Domino, Tony Scott (2002)
Faisant passer
Tueurs nés pour une oeuvre posée et lisible,
Domino malmène son spectateur en lui balançant à la gueule une sulfateuse de plans qui rivalisent d'inventivité, atteignant un paroxysme de désir constant d'expérimentation. Un enchaînement hystérique et clipesque qui tord la notion même de mise en scène et d'espace-temps en commençant par le milieu, et en faisant des allers-retours incessants entre passé et présent, ayant pour but ultime d'exciter notre rétine, et de rendre charismatique à mort cette bande de
loosers jouant aux chasseurs de prime. De ce trio émerge une ambiance sauvage et rock'n roll, renforcée par l'une des meilleures BO du réalisateur. La direction d'acteurs et la mise en scène parviennent à rendre sexy en diable une actrice que je déteste quasi unilatéralement, Keira Knightley, qui ne détonne pas à côté du non moins charismatique Mickey Rourke (tenant ici l'un de ses meilleurs rôles).
We all fall down
Mais ce film n'est pas qu'une simple exposition expérimentale chauffée à blanc. Celle-ci reflète non seulement le besoin d'adrénaline de ces
has-been solitaires et perdus, cherchant désespérément à exister (en particulier Domino, sorte de version adulte de la fillette dans
Man on fire), mais aussi tout le travail de T. Scott qui depuis ses débuts avec
Hunger (ses trois commandes de départ exceptées), n'a jamais voulu rendre les armes contre le formatage hollywoodien par un style visuel audacieux, qui paradoxalement ne cessera d'être copié. Car il ne faut pas se leurrer, derrière ce spectacle visuel et jouissif jusqu'à l'écoeurement, se tient en germe une critique profonde d'une société artificielle, et des médias qui se focalisent sur Domino pour la vendre, elle et ses potes, au public en quête de sensationnel. Sa réaction violente contre les chefs de bande de lycée ou de la star déchue (j'en rigole encore) de
Beverly Hills est l'un de ces signes d'un mal-être en déphasage avec un milieu hypocrite et tape-à-l'oeil. Cependant, il faut avouer que l'histoire est parfois si compliquée à suivre qu'on a parfois du mal à s'attacher aux personnages et à leurs motivations. On passe sans prévenir d'une intrigue à l'autre : braquage, quiproquo impliquant deux clans mafieux, retour sur le passé de Domino, critique des médias. Heureusement qu'un sursaut d'émotions jaillit durant la dernière scène, miracle de délicatesse propre à T. Scott. Cette confusion aurait pu être évitée tant l'histoire est simple à la base, due tout autant au scénariste Richard Kelly connu pour ses films de petit malin, qu'à une mise en scène sur-vitaminée risquant de lâcher son spectateur par excès. Peut-être en se concentrant davantage sur le personnage principal, moelle épinière de cette expérience visuelle intense, tour à tour
bad-ass, sexy, et émouvante ?
Une expérimentation avant tout visuelle, rock'n roll, et sexy, sous acide, au risque de perdre le fil d'une histoire somme toute simple.
Note : 7.5/10