LE DRÔLE DE NOËL DE SCROOGE - Robert Zemeckis (2009)
En 2004, Robert Zemeckis décide de s’investir totalement dans la performance capture, au travers de sa société de production ImageMovers. Il se fait d’abord la main sur le Pôle Express, dont le principal intérêt est de tester cette nouvelle manière de mettre en scène, avec un résultat agréable mais loin d’être transcendant. Puis, en 2006, il produit (avec son copain Spielberg) l’excellent Monster House, qui marque une nouvelle étape dans l’utilisation du procédé.
Mais c’est en 2007 que Zemeckis frappe un grand coup avec son adaptation de Beowulf, prouvant définitivement l’intérêt et le potentiel énorme de la performance capture en termes de mise en scène et d’interprétations des acteurs.
Malgré le faible succès du film au box office (196 millions dans le monde pour 150 de budget), Disney achète la société de Zemeckis et la rebaptise ImageMovers Digital. C’est à ce moment là que l’idée d’adapter à nouveau "le conte de Noël" de Charles Dickens fait surface, Zemeckis souhaitant rendre hommage à l’écrivain en étant le plus fidèle possible au texte d’origine, en s’appuyant sur les possibilités infinies offertes par la performance capture.
Et c’est là où son film se distingue des multiples adaptations existantes, en racontant une histoire très classique mais d’une manière totalement inédite du point de vue visuel.
Passé un plan séquence qui survole un Londres du 19e siècle parfaitement reconstitué, une longue introduction nous présente le vieux Ebenezer Scrooge (interprété par un excellent Jim Carrey), un usurier sans cœur et avare qui déteste Noël et tout ce qui va avec. Préférant passer la soirée du réveillon seul dans son inquiétante demeure, il ne tardera pas à être dérangé par le fantôme de son défunt associé, Jacob Marley. Celui ci lui annonce qu’il va recevoir la visite de trois esprits, représentant les Noëls passés, présents et futurs.
A partir de là, le film se transforme en un roller-coaster en trois actes, aussi émouvant que virtuose, porté par des idées de mise en scène absolument géniales. La première partie/vision, celle du fantôme du passé, est un énorme plan séquence de 12 minutes où Scrooge revisite son passé depuis l’enfance, se confronte à ses erreurs de parcours (notamment son rejet de l’amour au profit de l’enrichissement) qui l’ont conduit inéluctablement à devenir l’être méprisable qu’il est aujourd’hui. L’écriture de cette séquence est d’une finesse et d’une maturité rare dans une production destinée principalement à un public familial.
Outre sa richesse technique, cette séquence symbolise une étape importante autant pour le personnage que pour le spectateur, qui se surprend tout à coup à avoir de l’empathie pour un personnage jusqu’ici détestable. Un homme qui a fait les mauvais choix et qui en paiera le prix fort.
Puis vient le second esprit, celui des Noëls présents, avec lequel Scrooge va survoler la ville, en s’immisçant au cœur des maisons, tel un spectateur omniscient. Il va prendre conscience du malheur qui l’entoure et de son incapacité totale à aider les gens, jusqu'au moment où il découvre la terrible situation dans laquelle se trouve son employé, Bob Cratchit. Celui ci peine à nourrir sa famille et doit faire face aux difficultés d’un de ses enfants, atteint d’une grave maladie.
Ce passage éprouvant va créer un déclic chez Scrooge, qui prend enfin conscience de la noirceur de son âme, et qui ferait tout pour se racheter une conduite, à condition que l’esprit cesse de lui montrer la vérité en face.
Mais le cauchemar du vieil homme ne s’arrête pas là, et c’est dans une troisième partie d’une noirceur abyssale qu’il se conclura. Dés son apparition, après que l’on voit mourir le second esprit, l’esprit des Noëls futurs change littéralement l’ambiance générale du film, qui se transforme tout à coup en un terrifiant film d’épouvante à l’imagerie gothique sublime. Car cet esprit, c’est la Faucheuse, l’incarnation ultime de la noirceur de l’âme de Scrooge, qui vient le chercher pour l’emmener avec elle. Vient alors une incroyable course poursuite dans les sombres rues de Londres, où le personnage se retrouve pourchassé par la mort sous différentes formes, jusqu'à un final mémorable dans un cimetière, où Scrooge se retrouve face à son funeste destin, tombant littéralement dans son propre cercueil.
Une séquence culottée, qui a dû faire frémir pas mal de gamins étant gentiment venus voir le dernier Disney de Noël, mais qui ravira tous ceux qui venaient chercher autre chose qu’un produit formaté et sans âme.
Bien sur, le film ne peut se terminer sur une note aussi noire, et le happy end obligatoire bourré de bons sentiments, avec un Scrooge qui change totalement de personnalité, pourrait en faire reculer plus d’un. Mais il faut garder à l’esprit que tout cela était déjà dans le livre, et qu’un conte de Noël ne pouvait pas se conclure dans le deuil, aussi adulte soit il.
Le Drôle de Noël de Scrooge est sans doute l’adaptation la plus intéressante du roman de Dickens, grâce à sa grande liberté de ton et de mise en scène, mais aussi parce qu’elle arrive à transporter le spectateur dans un véritable cauchemar éveillé qui fait sans cesse appel à l’imaginaire collectif.
Un vrai tour de force qui malheureusement n’a pas trouvé son public, sans doute trop déstabilisant pour la cible visée, et força Disney a fermé la société créée par Zemeckis.
Comme quoi le talent ne paie pas toujours !
8,5/10