L'Etrange Noël de Mr. Jack |
Réalisé par Henry Selick Direction artistique, scénario... Tim Burton Composition et interprétation Danny Elfman avec Chris Sarandon, Patrick Stewart, Ken Page, Catherine O'Hara, Paul Reubens
Conte macabre et féérique, USA, 1h36- 1993 |
10/10 |
"C'était il y a longtemps,
bien plus qu'il n'y parait, au coeur d'un univers dont les enfants rêvaient
et un jour arriva cette étrange aventure dans le monde des fêtes présentes et futures.
Vous êtes vous demandé d'où provenait les fêtes? Non?
Alors suivez moi voici l'entrée secrète..."
Nightmare Before Christmas est Mon classique d’Halloween et de Noël, un joyau de l’animation image par image que je visionne immanquablement chaque année entre ces deux fêtes. Un véritable OVNI au cœur de la production Disney (Touchstone), conjugaison du talent d’Henry Selick, de Tim Burton et de Danny Elfman.
Un voyage fascinant dans l’imaginaire de Tim Burton, peuplé de monstres et de parias incompris qui déambulent au cœur de perspectives farfelues, où dominent les angles, les obliques et les spirales de bicoques biscornues, de chemin sinueux, de paysages tortueux et d’escaliers insolites. Certaines scènes sont indéniablement influencées par l’expressionisme torturé d’Edvard Munch.
L’étrange Noël de Mr. Jack est surtout un vibrant hommage au serial des années 30 et au cinéma de la
Hammer avec son savant fou et sa poupée de chiffon couturée, ses vampires, ses musiciens zombies, ses goules, ses gobelins, son loup-garou, sa marâtre, ses sales garnements, son chien fantôme, son épouvantail, son maire skyzophrène… Une galerie de Freaks, tout à la fois inquiétants, fantasques, excentriques, grinçants, drôles, mélancoliques et attachants. Des personnages doubles et ambigus, à l’image de Jack, extravagant et dépressif, terrifiant et amusant, cruel et héroïque. Jack et Sally l’expression même du romantisme gothique.
A noter, également le savoureux clin d’œil au film de science-fiction des années 50-60, tant dans les décors de la ville (poste et voitures de police…), dans la paranoïa qui s’empare des habitants la nuit de Noël (sirènes d’alarme, chasses à l’usurpateur, canons…) que dans la présence de cet extra-terrestre cyclope, une créature typique des séries B du genre.
Oogie Boogie, répugnant cancrelat grouillant d’insectes, crooner à ses heures, nous entraîne dans son antre, véritable parodie de Las Vegas. Là, comme dans la ville du jeu et du vice, le destin de chacun se joue au gré du hasard. La roue tourne, les bandits manchots dégainent, les dés sont jetés sous les sunlights des projecteurs, dansent dans une sarabande macabre des squelettes et des masques vaudous.
Un petit mot du maire d’Halloween Town, un personnage à ce point indécis qu’il possède un double visage. Apparemment la personnification idéale de l’homme politique selon
Tim Burton.
Tim Burton s’amuse à transgresser les codes de la Fête de Noël proposant quelques scènes truculentes d’enfants poursuivis par leurs jouets, de charmante grand-mère luttant contre une couronne de l’avent ou de sapin bouloté par un serpent. Si l’esprit de Noël flotte encore dans le village du Père Noël, il se résume pour les enfants et leurs parents à une distribution de cadeaux. Si les cadeaux ne sont pas ceux espérés ou bien trop étranges, alors la fête est gâchée, à l’image de ces habitants qui barricadent fenêtres et cheminées. Ce n’est plus le geste et l’intention qui comptent, mais bien le prix de l’objet. Derrière le conte macabre et coloré, pointe une réflexion amère sur la représentation de Noël aujourd’hui.
Si le scénario est nimbé des rêves et cauchemars de
Tim Burton, de son goût affirmé pour l’étrange, la solitude et la différence, pour les rimes, les serpents rayés, les parapluies, les chats noirs ou les arbres tordus… la réalisation doit tout au génie de
Selick, maitre d’œuvre de la « stop-motion » qui sut insuffler vie à ces marionnettes schématiques de pâtes à modeler. Une prouesse technique, presque aussi ancienne que le cinéma qui n’a pas pris une ride et qui est encore magnifiée par la HD. Un travail de titans pour façonner chaque expression des visages (colère, surprise, tristesse, malice…) dont le rendu à l’écran est époustouflant.
Selick et son équipe sont de véritables magiciens qui parviennent à nous émouvoir, à nous émerveiller et à nous faire rire avec quelques tiges, de la mousse, du latex et de la pâte. Il faut réellement du talent pour apporter une mise en scène si dynamique avec de tels matériaux. Pour une fois l’expression, magie du cinéma associée à ce film, n’est véritablement pas galvaudée. La stop-motion est un art et l’
Etrange Noël de Mr. Jack en témoigne.
Réussite artistique, réussite technique, mais aussi réussite musicale. Car l’
Etrange Noël de Mr. Jack est un conte musical aux mélodies envoutantes parfois enjouées, parfois mélancoliques, mélange subtil de ballades, de jazz et de blues.
Les Complaintes de Sally et de Jack nous émeuvent et parent le film d’un souffle romantique. Chaque composition est un poème chanté.
Danny Elfman nous offre une magistrale bande originale qui nous donne par ailleurs l’occasion d’écouter le maitre lui-même, ainsi que d’excellents artistes, tels que
Ken Page (Old Deuteronomi dans
Cats).
Trois artistes pour une œuvre intemporelle, dont la paternité est bien trop souvent, injustement attribuée uniquement à Tim Burton au détriment des deux autres. C’est pourtant, la symbiose entre ces trois talents qui a fait de L’Etrange Noël de Mr. Jack, un conte musical horrifique et féérique, macabre et poétique, joyeux et mélancolique qui navigue merveilleusement entre la noirceur d’Halloween et la magie de Noël.