Dense, non-linéaire, la narration est absolument dingue et tout le background qui relie à la fois la ville de Derry à Ça et aux gamins c'est juste ultime : j'ai rarement lu aussi fouillé et profond sur l'enfance, la nostalgie, le temps et le passé, les souvenirs etc... on passe d'une storyline purement fantastique à des scènes digne d'un thriller avec tout un passage dans la tête d'un gamin dont la psychopathie émerge peu à peu c'est très dérangeant (en peu de pages ça l'est bien plus que Un tueur sur le route de James Ellroy) ; on fait face à des tragédies dingues qui mêlent à la fois le Ku Klux Klan (un des thèmes du livre : le racisme et plus largement le sentiment de rejet : Ben le gros, Eddie le petit maladif, Mike le noir , Bill le bègue etc...), et des meurtres sauvages à la hache, des disparitions d'enfants, un clown mystérieux et des visions horrifiques multiples (aussi multiples que les facettes que peut prendre Ça). Derry est une ville presque fantôme où le Mal règne , où les adultes ne voient rien, ne ressentent rien mais où les enfants , par leur capacité à passer du pire au meilleure et du rire aux larmes en peu de temps, comprennent tout et s'aventurent au-delà du cosmos (si si
) pour affronter l'abomination et l’innommable chose : Ça qui vivait au-delà des limites de l'Univers, le Macronivers.
Le traitement du clown et de ses "formes", ses apparitions etc..font parfois penser à The thing. On passe un chapitre en 1985 à une partie sur l'enfance en 1958 pis parfois, les chapitres ne se terminent pas par un point mais la suite, le chapitre suivant, démarre là où s'arrêtait le précédent mais en continuant la phrase finale. Après avoir été considérablement marqué par le téléfilm je me devais de savoir ce que le roman de plus de 1000 pages contenaient et je ne suis pas déçu : Les caractères et profils sont consistants; les background hallucinant de profondeur et le clown n'est qu'une partie inférieure de la couche du livre : l'intrigue est basée sur le combat entre les gamins et Ça mais il n'est pas si présent qu'on peut le penser. Stephen King fait d'innombrables clins d’œils à toute une culture : il cite le seigneur des anneaux au détour d'une pensée de Mike, il fait souvent mention de certains groupes de rock , il cite même Spielberg (
).
On pourra reprocher les quelques passages crus liés au sexe : bien inutiles et en total décalage avec le reste (voir la tournante consentante à la fin...) et les multiples allusions dans le second tome. On peut aussi trouver la fin un peu WTF avec le cosmos, la Tortue, le background extraterrestre de Ça (encore une analogie à faire avec The thing puisque Ça atterrit sur Terre façon Carpenter's style et la suite, les transformations et l'ambiance) et le combat introspectif, spirituel où les enfants/adultes combattent avec leurs âmes c'est un peu too much. Pour ma part c'est du 10/10 sur le premier tome mais alors le 2 c'est plus 8 voir 7.5 notamment à cause de certains dialogues lors du final qui font vraiment pitiés (avec la Tortue par exemple).
Au-delà de ces petites déceptions, Ça est un sacré pavé qui se lit rapidement pour peu qu'on se plonge dedans mais attention : c'est glauque, violent limite gore (les descriptions des scènes dans le repaire de la Chose sont bien crades) et forcément dérangeant vu que les premières victimes et personnages principaux sont des enfants . D'ailleurs la répercussion de ce qui arrive en 1958 sur ce qu'ils sont en 1985 est d'une incroyable richesse : les souvenirs qui enfuis qui émergent, les sentiments avec, la nostalgie qui fend le cœur , le retour aux sources: Chez eux c'est Derry, Derry c'est Ça , Ça c'est une métaphore du mal et du Diable qui ronge Derry de l'intérieur. Les parties sur l’enfance sont les plus passionnantes à lire par ce côté "nostalgique" qu'elles provoquent en nous , faisant rejaillir des endroits insolites et privés devenus aires de jeux pour bandes de potes ratés , le coin bien secret où les amis se retrouvent pour fabriquer des barrages et jeter des cailloux ! Mix de Stand By Me et (un peu) The thing , Ça est un monument dont le sous texte sur l'enfance indique clairement que cette partie de nos vies influence tout le reste malgré l'oubli, les trous noirs inconsciemment mis en place par notre esprit comme point de rupture avec ce que l'on souhaite oublier (mais qui demeure, tapis dans l'ombre).
[...]il lui vint à l'esprit que les enfants étaient meilleurs pour ce qui était de mourir de peu et pour incorporer l'inexplicable à leur vie. Les enfants croient implicitement au monde invisible. Les miracles, bons ou nuisibles, méritent d'être pris en considération, certes , mais le monde n'es s'en arrête pas moins de tourner. Une brusque manifestation de beauté ou d’épouvante, à 10 ans, n'interdit pas un bon repas une heure plus tard. En grandissant, tout cela change. On ne reste plus allongé dans son lit à se dire qu quelque chose est accroupi dans la penderie ou gratte à la fenêtre. En revanche, quand il se passe vraiment quelque chose , quelque chose qui dépasse toute explication rationnelle , nos circuits sont en surtension. On commence à s'agiter dans tous les sens , les neurones en ébullition, on tremble ,on joue des castagnettes, l'imagination s’emballent nous met les nerfs en pelote; on est tout simplement incapable d’intégrer ce qui vient d’arriver à l'expérience que l'on a de la vie.[...]
"Ils reprirent donc leur reptation dans les ténèbres, tandis qu'autour d'eux se précipitaient des trombes d'eau et qu'à l'extérieur la tempête arpentait le paysage, parlant haut et fort, jetant sur Derry le voile d'un crépuscule précoce - crépuscule dont le vent était les gémissements et les feux électriques les bégaiements, et qui s’enfonça dans la nuit au fracas d'arbres foudroyés, tombant au sol dans un hurlement de mort de créatures préhistoriques."