Le Japon féodal, un univers cruel et codifiéDès les premières images, le spectateur pénètre dans l'univers noir et cruel du code d'honneur typique de l'époque médiévale japonaise. Le Shogun, un simple enfant, a fait un acte (inconnu du spectateur) innommable aux yeux de ses seigneurs, et pour cela, doit mourir. Chaque geste, même dans la mort, est précis, et revêtu d'une signification forte et symbolique. Le symbole est très important dans ce film, comme on le voit à travers les "armes" que portent chaque clan, ayant une signification et une puissance particulières (la connaissance de celles-ci permettent aussi d'identifier ou de démasquer d'autres clans).
Une histoire simple portée par un duo originalLe récit se suit assez bien, aidé par quelques explications sur les clans en place. Mais c'est d'abord une histoire de vengeance, donc on se retrouve aussi en terrain connu.
Ce film introduit une mythologie très originale, celle du Loup et de l'enfant, autrement dit l'exécuteur et l'innocent, qui poursuivent leur quête de vengeance de façon paisible (le générique du début, les montre d'ailleurs marchant calmement sur leur propre voie illuminée de blanc - couleur associée à la mort dans la culture asiatique -), entre un rideau de feu et un rideau d'eau.
Une interprétation magistrale du Loup et de l'EnfantL'acteur jouant l'exécuteur du shogun est selon moi magistral, incarnant de manière crédible un samouraï devenu renégat par trahison et non par déshonneur, qui n'a pas peur de la mort (ce regard de tueur !), et sait attendre le moment adéquat pour se battre. L'enfant complète le samouraï, en désignant la vie à travers son regard neuf (la chanson qu'il apprend à partir d'autres enfants qu'il entend, les jeux de ballons et les singes qu'il observe, le sein de femme qu'il n'hésite pas trop à prendre pour se nourrir ...). Selon moi, le clou du film et de la relation entre les deux protagonistes est celle où Itto Ogami présente un choix à son enfant : le sabre ou le ballon, autrement dit suivre la voie de la vengeance de son père ou demeurer un enfant et mourir comme sa mère (à partir de cet instant, l'enfant va suivre lui-même une voie initiatique).
Les autres personnagesLes autres personnages importants (pas pour le scénario mais pour le cadre social) selon moi ne sont pas ceux qui sont bien "vus" par la société : la folle qui donne son sein et donc la vie à l'enfant, et la prostituée qui est l'une des seules à reconnaître la force réelle de Itto Ogami malgré sa passivité apparente. J'ai par contre été irrité par les acteurs "méchants" (bien qu'appréciant leur look reconnaissable, ressemblant aux bad guy des westerns spaghetti), le chef du clan Yagyu en tête, et le ton théâtral général de l'interprétation - mis à part quelques exceptions comme l'exécuteur - mais c'est peut-être l'époque (l'interprétation des acteurs est très marquée par le Théâtre Nô, qui exagère les gestes et le ton de la voix) qui veut ça. C'est dommage d'ailleurs qu'il n'y ait pas de "méchant" digne d'Itto Ogami.
Un rythme inégalement maîtrisé et un environnement sonore étrangement épuréLe film est très lent (heureusement qu'il ne dure pas longtemps), et le temps s'étire - parfois au désespoir du spectateur - : c'est malgré tout une caractéristique propre au genre du Chambara (ressemblant sur ce point aux western spaghetti : il est bien connu que Sergio Leone a puisé en partie son inspiration de certains films de Akira Kurosawa). L'ambiance sonore et musicale est quasiment existante, épurée (au début j'ai crû à un problème de prise de son, mais à mon avis c'est trop récurent pour être un simple problème technique) : de ce vide sonore se dégagent essentiellement la voix caverneuse de l'exécuteur - héros du film - qui remplit l'espace, les rires et facéties de l'enfant qui apaisent l'atmosphère lourde qui se dégage du film, et les bruits du sabre qui coupent le fil de l'air.
Des combats au style baroque de qualité un peu inégaleIls sont très courts et réalistes - le sabre des samouraï est souvent mortel dès le premier coup porté -, avec hémoglobine et membres tranchés, dont j'ai surtout retenu deux face à face : celui qui se passe dans l'eau, et un autre dans le champ de blé, non seulement parce que ce sont des plans exceptionnels dans une réalisation quand même assez austère - malgré quelques perles visuelles -, mais également parce que Itto Ogami sait ici particulièrement utiliser l'environnement (l'eau et le soleil) pour abattre son adversaire. Il y a déjà quelques utilisations du berceau de l'enfant dans le combat - qui sera un véritable outil à la James Bond dans certaines suites postérieures-, mais ne sont pas encore très bien exploitées à mon avis.
Tous les thèmes de la série sont déjà présentsNous avons la relation antinomique de la mort (l'exécuteur) et de la vie (l'enfant), l'utilisation du berceau comme arme, et un personnage principal déjà bien en chair. Il y a aussi certaines scènes emblématrices (celles de la folle ; celle des jeunes fous qui veulent identifier Itto Ogami en le testant au combat ; le refus par ce dernier de se suicider selon le code d'honneur des samouraïs, et retourne ce dernier contre ses détracteurs, la prostituée, ...).