Quand on aime le cinéma réaliste et les problématiques liées à l’adolescence, quelques réalisateurs se révèlent comme des OVNI qui nous touchent comme rarement avant eux. Araki en fait assurément partie, marquant les esprits avec certains de ses premiers films comme The doom génération ou Totally fucked up, formant avec Nowhere une trilogie de l’apocalypse adolescent empreint de sa désormais célèbre marque de fabrique. Mais c’est avec Mysterious Skin qu’Araki va réellement percuter son public en signant un film sensible sur la pédophilie même si tous les ingrédients trash de son cinéma seront les instruments exacerbant cette sensibilité.
Le pitch de départ est simple, deux enfants, complètement différents, subissent dans leur jeunesse un traumatisme grave. Dès lors, l’un occultera complètement ce souvenir tandis que l’autre optera pour une vie de débauche, dans la continuité de ce drame.
Mysterious Skin est une oeuvre tranche de vie, on suit des personnages dans leurs évolutions, rien n'est critiqué ouvertement, tout est simplement filmé, laissé à la libre interprétation du public. Araki pose sa caméra et ne juge pas ce qu’il filme, chacun se fera son avis, touché ou non par cette avalanche de sentiments. Ainsi rien n'est vraiment manichéen, à l'image de cette mère frivole qui finalement aime son fils aussi fortement que son opposé mère poule. Celui qui tranche le plus, c'est Neil, un personnage qu'il faut avoir l’audace d'écrire et de mettre en scène. Les premières séquences ou il avoue son penchant, enfant, pour des hommes virils et très murs, c'est assez osé mais également utile pour la suite du récit car ça met en place la fausse ambiguïté qui sera le fil conducteur du film et conduira finalement au cas de conscience qui torture ce personnage d'apparence si téméraire et sur de lui.
Avec Mysterious, Araki signe une oeuvre très subtile malgré le côté très fort de certaines séquences. Tout est fait pour bousculer le spectateur, mais on est dans un certain non dit et les séquences éprouvantes pour celui qui regarde sont toutes très suggérées pour ne pas alourdir le propos. Alors certes, Araki ce n’est pas son genre de foutre un cut au premier arrachage de tee shirt histoire de nous préserver, mais il contient sa caméra avec beaucoup d'habilité pour ne pas tomber dans le graveleux. Toutes les séquences trash ou Neil s’enfonce de plus en plus dans une prostitution sur le fil du rasoir sont finalement pour lui une espèce d’auto punition pour ce qu’il a fait étant jeune. Car même s’il est avant tout une victime, il se considère davantage comme le second bourreau de Brian, instrumentalisé par un adulte qu’il adorait. Les séquences s’enchainent donc aussi brutalement que les différents protagonistes les subissent, sans artifice, à la façon dont on écrirait des pages d’un journal intime.
Mysterious Skin est un film déroutant livré à l'état brut au spectateur par des acteurs tous habités par leurs rôles. Les enfants sont tous forts en charisme et portent sur leurs jeunes épaules des scènes éprouvantes sans trembler. Araki apporte également à son noir récit des personnages sensibles et finalement très normaux malgré leurs looks atypiques, ce qui nous permet un peu de répit dans ce voyage sombre et sans concession.
Araki signe pour moi ici un film aussi beau que torturé, car même s’il est très noir et parfois difficile à regarder, il est également porteur d’espoir et sait se contenir pour ne pas devenir un film moralisateur dramatisé à outrance. La fin est ainsi très forte en émotion et permet de conclure le propos sur une touche de compassion et de réconciliation à travers deux fins de chemin pour les personnages principaux, l’un trouvant les réponses à ses questions, l’autre la confrontation d’actes passés qui le torturent. Une oeuvre qui m’avait véritablement bouleversé en salle et a confirmé l’essai lors d’un revisionnage très fort également. Un film qui divise mais ne laissera personne indifférent.