GÉNÉRATION SACRIFIÉE - Hugues Brothers (1995)
Après Menace 2 Society qui s’avéra être une véritable claque et qui s’est imposé au fil du temps comme la référence absolue du Hood movie, les frères Hugues iront encore plus loin deux ans plus tard, avec Génération Sacrifiée (honteusement boudé des salles chez nous), un brûlot frontal et sans concession, tant dans ses thématiques que dans sa représentation visuelle.
Un film choc, qui raconte l’histoire d’Anthony Curtis, un jeune noir de 18 ans qui décide d’abandonner les études pour s’engager dans les Marines. Il sera bientôt parachuté avec quelques uns de ses amis en pleine guerre du Vietnam. Une guerre qui le fera radicalement changer, tout comme son pays.
Passée une première partie bien menée qui présente les différents personnages et leur environnement avec la même maitrise que pour leur précédent film, le récit décolle véritablement dès que le personnage principal arrive au Vietnam (superbe transition au travers d'un plan séquence virtuose). Le film prend alors une toute autre ampleur, la peinture d’une guerre atroce prenant le pas sur la chronique sociale avec une radicalité qui fait froid dans le dos. C’est bien simple, rarement la guerre n’a été montrée de manière aussi frontale et réaliste à l’époque (depuis, on a eu Ryan), alors que cette partie ne dure pourtant qu’une petite demi heure.
Une partie extrêmement dure, qui met en avant une jeunesse perdue et sacrifiée au combat, qui sombre dans la violence barbare et la paranoia (le personnage interprété par Bokeem Woodbine fait vraiment peur), pour défendre un idéal dans lequel elle ne se reconnaît pas et auquel elle ne comprend rien.
Et puis, après quatre années de guerre, il est temps pour les survivants de rentrer au pays. Un pays qui a bien changé, rongé par le chômage et la délinquance, et dans lequel il est bien difficile de se réintégrer pour des soldats traumatisés par l’horreur de la guerre et ses conséquences (en particulier la dépendance à l’héroine). Entre temps, Curtis a eu un enfant qu’il n’a jamais vu (sa femme est tombée enceinte peu avant son départ) et son nouveau rôle de père va devenir très compliqué à gérer dans un contexte social et politique extrêmement difficile. Curtis va alors sombrer dans le banditisme afin de nourrir sa famille.
Cette dernière partie est pour moi la plus intéressante, car elle brasse une multitude de thèmes passionnants : la réinsertion des vétérans, la descente aux enfers d’une génération sacrifiée ou encore la montée en puissance des mouvements pro blacks tels que les Black Panthers. La courte durée du film ne permet pas de traiter chaque thématique en profondeur et c’est surement là le seul petit défaut du film. Cependant, la qualité d’écriture du scénario et des personnages compense largement.
Coté réalisation, les Hugues confirment tout le bien que je pense d’eux depuis Menace, ce sont des passionnés de cinéma qui ont parfaitement digérés leurs multiples influences (principalement Scorsese), c’est inventif, virtuose, maitrisé de bout en bout et d’une radicalité qui fait plaisir à voir. Peu de réalisateurs peuvent se targuer d’avoir une aussi grande aisance dans la mise en scène, et cela les place directement comme deux des réalisateurs les plus talentueux apparus ces 20 dernières années (suffit de voir le génial Book of Eli).
Pour ne rien gâcher, ils sont aussi d’excellents directeurs d’acteurs : Larenz Tate, après son rôle culte d’O-Dog dans Menace, trouve ici le rôle de sa vie, Chris Tucker a rarement été aussi bon (même si on perçoit déjà les tics agaçants qui deviendront sa marque de fabrique), idem pour Bokeem Woodbine ou l’excellent Keith David. On croise également les jeunes talents de l’époque Freddy Rodriguez et Terence Howard, confirmés depuis.
Sans oublier le soundtrack soul du film absolument dément et qui, a la manière d’un Tarantino, se marie parfaitement à la mise en scène (la mort d’un des persos sur un tube d’Al Green, c’est juste la grande classe)
Bref, malgré sa découverte tardive, Génération Sacrifiée s'impose à mes yeux comme le chef d’œuvre des deux frangins, une réussite implacable qui transforme un premier essai déjà exceptionnel !
Ce qui laisse encore plus dubitatif devant le traitement réservé au film lors de sa sortie alors qu'il est assurément un des meilleurs films ricains des 90's !
9,5/10