King Kong de Peter Jackson
(2005)
King Kong, c'est d'abord un rêve d'enfant, celui de Peter Jackson qui, émerveillé par le film de Merian C. Cooper, se fabriqua une petite marionnette en fil de fer et poils de chien à l'effigie du monstre le plus célèbre de l'histoire du cinéma.
King Kong, c'est aussi un rêve de cinéphile, chaque personne appréciant le cinéma ne peut rester impassible devant un tel monument du 7ème art, Peter Jackson, lui, se décide dès sa plus tendre enfance à rendre hommage au film en tournant sa propre version. Mais
King Kong, c'est avant tout un être vivant, une créature qui, à l'aube du cinéma fantastique, n'était là finalement que pour créer la peur et le suspens. Ridiculisée dans la version de 1976 avec Jessica Lange (ceux qui ont éclatés de rire devant le final sur le World Trade Center avec un King Kong chassé par les hélicoptères et les lances-flammes sauront exactement de quoi je parle), la créature attendait patiemment qu'on lui accorde enfin un peu d'humanité, la majorité des personnes ne cherchant pas à savoir pourquoi il n'a jamais dévoré Fay Wray, préférant la garder jalousement auprès de lui plutôt que de la laisser partir à jamais. Heureusement pour elle, Peter Jackson, avec son cœur d'enfant innocent, l'a comprise tout de suite, et dans sa sincérité immense, autant pour Kong lui-même que pour le spectateur de 2005, il réalisa enfin le rêve de sa vie, un rêve qu'il avait frôlé dix ans plus tôt mais qu'il avait refusé, sachant très bien que la technologie ne permettrait pas encore à Kong d'émouvoir comme il cherchait à la faire depuis des décennies, préférant s'atteler à la trilogie
The Lord Of The Rings dont le succès lui permis d'avoir carte blanche de la part d'Universal pour réaliser non pas son meilleur film, mais bien le film de sa vie.
Et c'est bien la sincérité de Peter Jackson qui fait toute la différence. Là où certains auraient préféré un remake se déroulant à notre époque, Jackson s'amuse en choisissant de situer son film en 1933, comprenant que le film de Cooper était bien plus qu'un film de monstre, qu'il était aussi un film sur l'Amérique idéalisée à tord qui cherchait la gloire à travers l'anéantissement d'un mythe et d'une idée. Car si Kong escaladait l'Empire State Building pour finalement y mourir, ce n'était pas seulement dans un objectif de fuite et/ou de protection de son trésor, c'était aussi pour annoncer au monde entier (le building étant à l'époque le plus haut jamais construit) qu'il avait aussi le droit de vivre, le droit de retourner au sommet de sa montagne où il attendait paisiblement de mourir à côté de ses ancêtres. C'est donc en connaissance de ce symbole puissant que Peter Jackson dépeint une Amérique mourante, où la crise de 1929 touche la quasi-totalité des new-yorkais dans un ville où l'on cherche à construire toujours plus pendant que des centaines de gens meurent de faim au pieds des buildings. D'une pierre, deux coups, Peter Jackson arrive, grâce à cette analyse plus approfondie de l'époque, à donner plus de caractères et de psychologie à ses personnages. Ann Darrow, de muse hurlante passe à une actrice qui trouvera sur Skull Island non pas la célébrité mais une raison de vivre, idem pour Carl Denham qui devient l'un des plus grands éléments tragiques de l'histoire, Peter Jackson se mettant souvent à la place de ce personnage (il suffit de voir le regard de Jack Black face à sa caméra détruite pour s'en persuader). Idem pour le personnage de Jack Driscoll qui, de capitaine d'équipage dans la version de Cooper passe à scénariste dans la version de Jackson. Ce n'est d'ailleurs clairement pas un hasard puisque c'est bien ce personnage qui déclenche les rebondissements et donc fait continuer l'histoire, une histoire dans laquelle Kong n'est finalement qu'un personnage manipulé par l'amour et la violence et sur lequel Jackson pose un regard tendre et désespéré, lui qui avait compris dès le premier regard la pauvre Bête tuée par la Belle.
Bien entendu, la spontanéité de Peter Jackson à la réalisation l'empêche de prendre assez de recul pour voir les quelques défauts qui empêchent le film d'être un monument pur et simple à l'effigie du monstre qu'il met en scène. Durant un peu plus de trois heures, le temps de film se fait hélas sentir, notamment à des passages qui auraient pu être raccourcis sans problème (le voyage vers Skull Island) sans oublier les relations entre personnages qui se révèlent assez inutiles lorsque l'on voit que ces mêmes personnages sont totalement absents de la séquence finale (le personnage de Jamie Bell en particulier). L'autre défaut du film, c'est évidemment l'abondance de petits effets de style qui s'éloignent un peu trop du sujet original. Pourtant, derrière cet amusement certain avec la caméra, on sent véritablement un Peter Jackson qui croit à fond dans son rêve d'enfant, ce qui amène à l'ultime question que l'on peut se poser une fois le générique de fin à l'écran : Jackson a-t'il réalisé King Kong avant tout pour lui ou pour son public. La réponse, chacun se le fera évidemment, même si je me plaît à penser que les deux réponses sont liées, Jackson étant un spectateur fanboy tendance geek avant d'être un réalisateur de blockbuster, son plaisir étant finalement partagé via le spectacle impressionnant qu'il propose. Entre des dialogues jamais ennuyeux, des passages originaux transpirant le cinéma de genre (les scènes avec les indigènes) et surtout des séquences techniquement irréprochables (le combat dans les lianes est un modèle de lisibilité de l'action et le final dans New-York possède un véritable souffle épique), Peter Jackson offre là un véritable film d'aventure comme on n'en avait pas vu depuis longtemps, porté par la grâce de la composition musicale de James Newton Howard, qui trouve là sa meilleure association depuis son travail avec M. Night Shyamalan, avec des thèmes magnifiques et donnant un tout autre sens à l'image.
Car
King Kong, c'est aussi un défi technique remporté haut la main. Si le New-York des années 30 sent un peu trop le numérique sur certains plans, on ne peut que s'incliner devant un Skull Island criant de vérité, où les dinosaures n'avaient pas été aussi bien retranscrits depuis un certains
Jurassic Park. Mais LE gros point fort du film est évidemment King Kong lui-même, certainement l'être digital le plus beau créé jusqu'à maintenant dans un film. Là où certains auraient tentés de le rendre trop humain (il suffit de voir le dernier
Planet Of The Apes pour s'en persuader), Jackson comprend que c'est l'identité animale du personnage qui fait toute sa force et son émotion. A l'instar d'Ann Darrow, le spectateur apprend peu à peu à comprendre Kong via ses gestes et mimiques, pour finalement le comprendre au moindre regard, en témoigne ce dernier dialogue muet entre la Belle et la Bête dans un final évocateur aussi beau sur la forme que sur le fond. Si
King Kong est avant tout un rêve de gosse, il n'en reste pas moins un très grand film rempli d'aventure, d'émotion et de sensations. Nul doute que Peter Jackson nous a offert ici ce que l'on pourrait dignement appeler un pur moment de cinéma sur lequel Kong peut se reposer enfin fièrement et tranquillement, il aura fallu plus de 80 ans pour l'homme puisse comprendre que la Bête cherchait avant tout l'Amour.
NOTE : 8,5/10