Children Of Men (Les Fils de l'Homme) de Alfonso Cuarón
(2006)
Après
Y Tu Mama Tambien, road movie de grande qualité révélant un véritable amour pour les personnages torturés, un Harry Potter plus ou moins correct d'où s'échappaient quelques bonnes idées de mise en scène, et quelques films de commandes, Alfonso Cuarón réalise en 2006 un film d'anticipation imaginé depuis plusieurs années, un film à la fois très personnel et universel, mais surtout extrêmement ambitieux. Quelques semaines après la sortie de
Children Of Men, le succès critique était au rendez-vous (il n'en sera hélas pas vraiment de même avec le box-office), le film étant considéré par beaucoup comme un véritable chef-d'œuvre, ce qu'il est sans aucun doute.
Children Of Men se base pourtant sur une idée toute simple : qu'arriverait-il au monde de demain si la fertilité humaine était réduite à néant. Un constat simple, intelligent, possible (la cause réelle n'est jamais expliquée, des centaines de raisons peuvent alors venir à l'esprit) et qui donne lieu à une vision d'un monde futuriste (le film se déroule en 2027) réaliste et jamais vu.
Dans un monde ravagé par la guerre (New-York atomisée) et sans aucun contrôle (plusieurs pays dévastés par des catastrophes naturelles), seul le Royaume-Uni tient encore à peu près débout, faisant des immigrés des ennemis publics et donnant aux riches l'opportunité de vivre comme si de rien n'était pendant que les démunis se voient donner des kits de suicide pour éviter de voir la lente dégradation de l'humanité, pleurant la mort de chaque personne ayant moins de trente ans. « Tout est fichu, voilà ce que le monde devient sans les cris d'enfants », tel est le constat établi dès le début du film, un constat pessimiste mais réaliste auquel adhère totalement le personnage principal du film, Theo, véritable anti-héros préférant interagir le moins possible avec le monde qui l'entoure depuis la mort de son enfant. Avec un tel personnage, Alfonso Cuarón place le spectateur dans une position où il lui est impossible d'espérer quoi que ce soit de bon, ceci pour que l'apparition de l'espoir (une femme immigrée enceinte) apparaisse comme un élément à protéger quoi qu'il arrive. Véritable petit bijou de direction artistique (les multiples détails faisant véritablement croire à ce futur angoissant, comme le t-shirt de J.O. de 2012 que porte Theo) et d'écriture (le film évoque absolument tout, l'économie, la morale éthique et même l'art à travers ce passage où l'on se rend compte qu'un tableau comme Guernica n'a finalement qu'une valeur minime face à la détresse du monde),
Children Of Men est surtout, à l'instar du
War Of The Worlds de Steven Spielberg, un reflet de notre propre monde et des peurs qu'il engendre. Entre références aux camps de concentration, aux tortures effectués par les américains aux Moyen-Orient, à l'homme encapuchonné de la prison d'Abou Ghraib ou encore aux attentats du 11 septembre 2001,
Children Of Men renvoie sans cesse au spectateur que le monde dans lequel il vit peut à chaque moment sombrer dans le chaos, ce que démontre parfaitement la séquence d'introduction, un plan-séquence calme qui finit par un attentat à la bombe dans un café londonien.
Mais
Children Of Men ne serait définitivement pas le même film sans sa mise en scène tout bonnement incroyable. Alfonso Cuarón use ici à peu près du même esprit de réalisation que son film
Y Tu Mama Tambien, où l'on pouvait déjà voir son amour pour la caméra portée (jamais secouée inutilement) et le plan-séquence. Par ailleurs, le film propose tout simplement les meilleurs plans longs faits depuis des années, tous différents et faisant à chaque fois preuve d'une efficacité et d'une originalité hors-pair. Conscient de sa maîtrise technique, Cuarón multiplie les éléments incontrôlables dans ses plans-séquences, des centaines de figurants aux animaux, en passant par les véhicules ou les effets pyrotechniques. Si le premier plan-séquence du film est impressionnant dans sa manière de présenter le monde comme un élément auquel il ne faut pas se fier, celui se déroulant intégralement dans une voiture est un véritable modèle de mise en scène et de gestion technique. Mais le plan le plus marquant du film est sans conteste celui où le personnage de Theo survit désespérément dans une rue militarisée pour atteindre un hôpital occupé par des terroristes, un plan où Cuarón n'hésite pas à plonger totalement le spectateur dans l'horreur de la guerre. Ainsi,
Children Of Men est un mélange intriguant et particulièrement réussi de film d'anticipation et d'expérience purement sensorielle qui fait de ce film la meilleure œuvre de Cuarón. A ce constat se rajoute la bande-son composée par John Tavener, où violons grinçants se mélangent aux magnifiques chants d'opéra pour un résultat prenant et beau tout simplement (la réaction de Theo face à la mort de Julian est certainement l'une des plus belles scènes du film), le travail des effets sonores n'étant pas en reste, avec des petites idées toutes simples mais qui font véritablement la différence (le chant du cygne audible après chaque explosion près de Theo). Et comme si cela ne suffisait pas, le casting est lui aussi sans fautes, Clive Owen y trouve son meilleur rôle avec ce personnage qui connaîtra finalement un voyage initiatique (à la manière des personnages d'
Y Tu Mama Tambien), Julianne Moore, malgré ses courtes apparitions, marque véritablement le film, Claire-Hope Ashitey est une véritable révélation et que dire de l'excellent Michael Caine, parfait en vieux hippie qui ne se reconnaît plus dans le monde dans lequel il vit. Contrairement à des films comme 1984,
Children Of Men est clairement un film d'anticipation qui traversera sans nul doutes les années tout en conservant son message percutant et sa véracité. Masterpiece ultime de ce début de siècle, chapeau bas M. Cuarón.
See the born of Hope, children of men
NOTE : 10/10