Fenêtre sur cour |
Réalisé par Alfred Hitchcock
Avec James Stewart, Grance Kelly, Thelma Ritter, Raymond Burr
Thriller, USA,1h52 - 1954 |
7/10 |
Résumé : Jeff Jeffries, photographe professionnel se retrouve dans un fauteuil roulant avec une jambe cassée. Il s'amuse alors à observer ses voisins, depuis sa fenêtre sur cour...
Je conservais de ce film, le souvenir d’un thriller passionnant, d’où une certaine impression de déception, lorsque je l’ai revu cet été, car Fenêtre sur cour est dénué de rythme et la tension est loin d’aller crescendo. Le suspens surgit uniquement dans les 20 dernières minutes. Nul doute, que ce manque de rythme, cette langueur qui s’insinue au cours de ces quelques journées à la chaleur étouffante, soit un artifice volontaire de la part de Hitchcock, pour nous faire ressentir l’ennui qui gagne ce photographe bloqué dans son fauteuil roulant, l’inactivité qui le ronge et le pousse à épier ses voisins. Pour ma part, le réalisateur réussi à retranscrire un peu trop parfaitement, cette lenteur du temps qui s’éternise. Comme Jeff à sa fenêtre, j’ai été prise de quelques somnolences.
Bien plus, qu’un film à suspens,
Fenêtre sur cour est donc, avant tout une comédie de mœurs dans laquelle s’insinue un drame mystérieux : la disparition de Mme Thorwald. Le prétexte à l’étude de certains travers qui sommeillent en chacun de nous : le voyeurisme, la curiosité morbide pour le crime et l’indifférence des mégalopoles. En plaçant le spectateur dans la peau de Jeff, en lui proposant quasiment un point de vue unique, depuis la fenêtre de cet appartement (un bien bel exercice de style),
Hitchcock interpelle le voyeur potentiel en chaque individu. Il nous propose, pour un temps, d’observer le quotidien de ces voisins que l’on côtoie, sans vraiment les connaître.
Car une constatation s’impose, si Jeff n’était pas désoeuvré et bloqué chez lui, il ne poserait pas son regard et son objectif sur son entourage et les petits tracas du quotidien. Il y a tellement plus intéressant et plus important à photographier dans le monde que la vie quotidienne de ceux qui logent à côté de chez nous. Dans cet environnement cloisonné, où s’expose la vie de chacun, personne ne s’intéresse au sort de l’autre et personne ne connait véritablement son voisin. Chacun vaque à ses activités, indifférent à autrui. Ce que souligne parfaitement, l’objectif d’
Hitchcock, même si cela peu paraître une ficelle scénaristique un peu grossière. Personne ne remarque la surveillance pourtant peu subtile de Jeff (ce n’est pas franchement discret un téléobjectif !) et surtout personne, pas même Jeff,
Il faudra un drame, pour que s’établisse enfin des relations de voisinage.
Je n’accroche pas à cette relation conflictuelle, ce jeu du chat et de la souris entre ce baroudeur, célibataire endurci qui tient à sa liberté et cette femme parfaite issue de la haute société. Les dialogues sonnent faux et il y a bien des incohérences dans leur comportement. Par exemple, Lisa démonte avec brio toutes les convictions de Jeff et s’emporte devant son incapacité à arrêter de surveiller ses voisins, un comportement abject à son sens, et puis soudain, elle voit une malle et elle croit immédiatement à la théorie du crime ! Sans compter la scène surréaliste de l’escalade en tenue de soirée. Le film est bourré de stéréotypes sur les rapports hommes/femmes. En somme, je ne parviens pas à m’intéresser à la romance entre des deux personnages principaux. J’ai surtout l’impression que les entrées et les sorties de Lisa, dans l’appartement de Jeff, sont un prétexte, à un défilé de belles robes mises en valeur par la sublime Grace Kelly.
Ces individus dont on dérobe, à leur insu, quelques brides du quotidien, sont finalement plus intéressants que les deux héros du film. Ainsi, cette danseuse qui attire tous les regards et qui se révèle moins frivole que les apparences ou encore ces jeunes mariés qui par pudeur baissent les stores et s’isolent dans leur bonheur…et puis bien sûr, cet homme ordinaire, qui vaque tranquillement à ses occupations alors qu’il vient de commettre un meurtre sauvage.
Le crime prémédité, froid et méticuleux, dans toute son horreur. Il y a aussi, Stella, cette infirmière à l’humour caustique et à la répartie cinglante qui est de loin, le personnage le plus attachant et le plus croustillant. La seule qui porte un regard humaniste sur les habitants de cette cour, ce microcosme de la société, la seule qui voit la détresse de Mlle « Coeur solitaire ». Pour Jeff, seul compte l’excitation du mystère, la chasse à l’assassin et, l’observation de la moindre faille dans le comportement du meurtrier, pour trouver l’indice qui le confondra.
Le personnage de
James Stewart incarne également cette fascination pour le meurtre inhérente à nos sociétés. Lorsque, le détective Doyle, parvient presque à le convaincre, qu’il n’y a pas eu meurtre, le désappointement se lit sur son visage. Mme Thorwald n’existe pas dans son esprit en tant qu’être humain, mais bien en tant que corps du délit et preuve du meurtre. L’immense popularité des séries policières, telles les
Experts et Cie, ou même en son temps, de
Columbo, prouve à quel point, les enquêtes nous captivent. Le spectateur n’aspire pas à commettre des meurtres, mais bien à observer ces enquêteurs (voire à s’identifier à eux) démêler les ficelles et découvrir les indices pour parvenir à confondre le coupable. En somme, une autre forme de voyeurisme.
Il n’y a pas loin du voyeurisme à la paranoïa. De ce point de vue, la prestation de
James Stewart est excellente, entre détermination et couardise. On l’observe sombrer peu à peu dans ses certitudes et entraîner avec lui ses proches, au point de les mettre en danger. Stella et Lisa seront ses jambes et lui le cerveau. Dommage qu’à aucun moment le spectateur ne doute des constatations de Jeff.
Hitchcock ne construit pas son film sur l’ambiguïté, ce qui diminue grandement l’intensité des évènements, d’autant plus que l’affrontement final est franchement anecdotique et peu réaliste.
Pas un chef d’oeuvre du maître du suspens, mais un film intéressant qui porte un regard amusant et accusateur sur quelques bas instincts de notre société, dont Hitchcock, lui-même n’est pas exempt ; lui qui usa des artifices du cinéma, pour filmer des belles femmes dans des tenues légères, dans la limite de ce que lui permettait la censure.