Pure fable animalière , l'Ours est surtout une des plus belles paraboles sur l'enfance humaine ainsi qu'un doux et joli conte naturaliste où la Vie prend le dessus sur nos instincts les plus primitifs que seule notre conscience et notre raison peuvent mettre à bas.
Jean-Jacques Annaud décide d’adapter un court roman mais il inverse le point de vue: des chasseurs au centre du récit littéraire, il préfère le point de vue de l'ourson. Cela permet d'offrir un film plus atypique, qui aurait pu, sous bien des aspects devenir niais et insupportable comme on a pu le constater avec les descendants du film : les Babes , l’incroyable voyage, et d'une certaine façon la marche de l'Empereur etc....
Tous ces films possèdent font parler leurs animaux ou imposent des voix-off. Annaud n'a pas voulut tomber dans cette facilité et se permet un film sans quasiment une ligne de dialogue (il n'y a que 2 rôles parlés et les dialogues se font rare). Sa caméra profite essentiellement du comportement animal et des regards qui en révèlent bien plus que n'importe quelle discours. Académique, la mise en scène est souvent statique pour marquer le spectateur et le laisser s'imprégner des émotions animales et de ma théorie "Koulechoff" de l'effet de contre-champ qui permet de suggérer une émotion , même sur un regard "vide" juste par le montage successif entre regard de l'acteur et ce qu'il voit. Pour un film animalier c'était nécessaire et même vital.
Le long-métrage reste simple et ne verse pas dans des raccord affreux et à peine dissimulés. En gros je crois qu'il doit y avoir un seul raccord de l'adulte et du petit c'est quand ils sont côté à coté derrière un rocher à observer des Cerfs. idem, pour "créer" l'immensité des décors, Annaud n'a quasiment jamais recours aux contre-plongées (comme c'était le cas sur Le Nom de la Rose) et la seule profondeur permet de bine générer les dimensions gigantesques de la chaine de montagnes. Toutefois, dommage que le réalisateur ne se soit pas autorisé quelques plans aériens pour gérer un peu mieux la topographie lors de la traque par exemple. Quelques plans en mouvements shootés d'un hélico ça aurait pu offrir plus d'ampleur.
Tout est très limpide dans ce parcours initiatique du jeune ourson et sans aucune indication extérieur on comprend parfaitement où nous mène l'intrigue : c'est une fable, un petit conte et il qui transporte vraiment le spectateur dans ces montagnes Rocheuses Canadiennes magistralement mis en scène par Annaud et son directeur photo , Philippe Rousselot. (le hic c'est que pour les connaisseurs, on reconnait les Alpes mais ce n'est pas si important en soit : des choix logistiques ont du être fait et même si au départ le film devait être tournée aux USA, au dernier moment il fut décidé de shooter en Italie pour la plus grosse partie du film : visuellement c'était plus intéressant). L'ours et le trappeur ont été des icônes de l’Amérique et des périodes comme la ruée vers l'or du Klondike : Jack London a mis brillamment en relief ces paysages la vie des ces hommes et des loups, d'autres ont peints les paysages et Annaud fait un film avec en toile de fond transparente cette partie de la conquête de l'ouest un peu oubliée (elle s'est vraiment fait bouffé par le western, la figure du cow-boy, les premières villes, etc..). Ce n'est pas le centre du récit mais quand on connait un peu on fait inévitablement le rapprochement.
Tout est vrai, le film est tourné en extérieur, les plans sont souvent très "photographiques" et jamais "documentaire" ; Annaud a décidé de tourner 80% des scènes au moins avec de vrais animaux et même si on voit bien quand il s'agit d'animatroniques ou autres effets du même styles, c'est très rare. Tout est capté directement sur les Ours : le regard surtout mais aussi les enchainements dont le montage excellent permet de voiler des comportements plus désintéressés. Annaud choisit de romancer son film et les attitudes des animaux en les "humanisant" un tout petit peu. Cela dit, on est là devant un film à la fraicheur indémodable et aux thèmes encore d'actualité sur le fossé homme/animal et la chasse encore très critiquée un peu partout dans le monde. Le décor du film est sublime et chaque panorama peut faire penser aux peintures impériales d'Albert Bierstadt qui s’était spécialisé dans les représentation des paysages américains (essentiellement les montagnes Rocheuses). On a vraiment ce sentiment d'ivresse (la beauté, la Vie dans toute sa richesse, le fleurs, les couleurs de l'été, les sons) et de vertige (la grandeur du paysage, des montages, Annaud gère bien son environnement et sait mettre en les proportions) sur certains plans.
La profondeur de champs est souvent exceptionnelle et la composition des plans toujours çà la fois sobre et léché. C'est bien équilibré, et le film se permet quand même quelques plans violents notamment lors du combat final. Techniquement, c'est sans grandes envolées mais c'est magnifique et le travail sur le dressage des animaux est démentiel. C'est bien simple, dans le genre, on a jamais vu mieux et ce serait de la mauvaise foi que de dire l'inverse. Pratiquement tout le film transpire l'authenticité. Annaud a signé un succès commercial important , l'Ours a tout de même été une innovation dans le cinéma et ça a lancé une mode bien plus tard(mode finalement devenu niaise et insipide, rébarbative et sans talent). : même deux Frères était inférieur à L'Ours alors qu'Annaud était aux commandes. L’histoire était désormais du point de vue humain plus qu'animal et le dressage des animaux paraissait moins réussi. En tout cas l’utilisation des animaux étonnait moins alors que l'ours, en terme de montage c'est parfait pour ce que ça raconte. Il existe de nombreux films avec des animaux où chaque réaction de l'animal est pas crédible du tout. Un chien attaque un homme mais on le voit remué la queue etc..ce genre de détails ça détruit la crédibilité). L’organisation des séances de shoot avec les animaux fut une sacré entreprise. La qualité est donc au rendez-vous (le final avec le cougar ça relève du génie tant tout est millimétré pour qu'on ne voit quasiment jamais un seul trucage : tout est vrai, tourné en live mais avec une organisation minutieuse et précise afin que les animaux ne se confrontent pas réellement).
Le fond pourra paraitre léger et basique à certains mais ça ne montre que la "vie" sous un angle concret : le jeune ourson qui perd sa mère et se confronte pour la première fois seul à la mort. Au départ il ne comprend pas , il joue, il finit par s'en aller et découvre ce qui l'entoure : la faune, la flore, (le travail sur les effets sonores et génial avec tous ces insectes plein de vie qu'on ne voit pas mais qu'on entend totu du long, le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles...une explosion de vie et ça colle parfaitement avec l'initiation d'un jeune animal qui découvre petit à petit son environnement ! le bel été , on sent presque le soleil sur sa peau et on est littéralement immergé en pleine nature avec cet ourson qui nous renvoie à notre propre enfance: Annaud veut à la fois soumettre l'idée que les animaux connaissent le même parcours initiatique que nous et, grâce àla romance, nous émouvoir et nous attacher à ces "bêtes" qui peuvent elles aussi avoir des comportements altruistes), il est orphelin et n'a personne pour veiller sur lui et l’éduquer alors il fait un peu n'importe quoi (je sautille partout, je rencontre une grenouille que je tente d’attraper, je me prélasse au soleil sur un rocher...).
Il y a les passages un peu psychédéliques que certains trouveront un peu hors sujet mais ça ne fait qu'un parallèle avec l'enfance d'un petit garçon, ses cauchemars ce qui l'a marqué dans la journée, ce qui le travaille etc... sa découverte "ennuyante" de la reproduction; le mimétisme qu'on gamin met en pratique pour comprendre un comportement adulte" (sur la scène de l'arbre que le mâle abat pour montrer sa force à la femelle)les champignons hallucinogènes (la parabole sur la jeunesse qui découvre la drogue c'est évident), la solitude, la rencontre avec l'Homme (auquel il veut échapper mais dont il se rapproche à la fin) et les dangers de son lie d’habitat: les rivières, les prédateurs, les chasseurs,...Ce film est une véritable perle qui raconte tout simpelment une "histoire" de la Nature et n'en oublie aucune aspect. A la rigueur il y a la partie "traque" qui ne résume qu'à des empreintes et des chiens qui aboient. On ne comprend pas trop comment les deux chasseurs retrouvent l'ours mis à part ces indices assez faiblards. Cela dit, les plans qui suggèrent la colère du mâle une fois blessé qui revient vers les homme pour leur tendre un piège, même si ça dénature l'animal, au fond ça fonctionne parfaitement. Le cinéaste réussit à raconter une histoire à la fois profonde et légère mais primordiale et essentielle dans la Vie.
Plus tard il rencontre le gros mâle, et c'est encore une fois touchant, très émouvant tout en restant superbement sincère et malgré des sentiments/émotions romancés chez les animaux, on est jamais choqué. Ça pourrait être "vrai". On a déjà vu des actes altruistes chez certains espèces et l'Ours était sans discours, le tout passe comme une lettre à la poste. Avant la raison passe le cœur et Annaud le sait. dans ses films il n'a jamais cherché à coller à 100% à la réalité. Les émotions passent avant tout.
Annaud suit quelque chose de logique dans ce film avec un début lié à la mort puis la jeunesse-formation de l'ourson avec la mâle puis la découverte de la violence , le sommet de la chine alimentaire du pays devient proie à la fin et puis tout rentre dans l’ordre, l'hiver arrive puis, suggérée, une renaissance avec le printemps et le dégel....
L'Ours c'est un chef d'oeuvre, inégalé dans le genre et jamais on a vu moins "lourd", pathos et niais comme quête initiatique enfance-découverte de la vie. La fin signe aussi le retour à la Nature et un homme qui se retire d'un paysage qu'il transgresse et ne respecte pas. Pourtant il en prend conscience.
Évidemment le film regorge de scènes que certains n'oublieront jamais mais techniquement la séquence impressionnante et ultime ça reste le face à face entre l'ours et Tcheky Karyo (je n’ai pas parlé des acteurs humains: il sont ce qu'il faut et ils sont bien choisis et campent les nouveaux cow-boy américains: les trappeurs/chasseurs très peu mis en scène au cinéma : de mémoire j'en connais qu'un : Jeremiah Johnson).
La scène est peu découpée, le face to face est bien réel : la prise de vue permet de bien dévoiler les dimensions de l'animal énorme par rapport à l'homme et le décor accule littéralement celui-ci à une proie donc il ne peut se soustraire aux menaces de l'animal. Les réactions sont criantes de vérité et aucun trucage de jonchent la scène. Ce passage est presque traumatisant.
Vue subjective de ce que l'on suppose être l'Ours puisque on entend une respiration puissante des des grognements. La caméra se déplace ne travelling sur la gauche et on colle avec le déplacement de l'animal. On reste dans le flou. On ne voit pas "qui" est la caméra.
Ici on arrive face à l'acteur qui profite d'une chute d'eau. un autre plan montre sa main se diriger vers sa gourde : une ombre s'impose et en se retournant il voit l'ours. Ici, on est dans la scène de meurtre par excellence. Combien de slashers utilisent de procédé pour instaurer une suspens et une tension ?
L'animal gratte le sol, grogne et on commence à être impressionné par tant de colère puis une contre plongée très verticale nous montre que pour l'homme, il n'y pas d'issue ni de fuite possible. On revient à un gros plan de l'ours qui gronde et on prend conscience de la dimension de sa gueule.
Le premier plan nous dévoile un pue plus les proportions, le second , plan large, laisse le spectateur s'effrayer de cet ours gigantesque face à un homme devenu soudain tout petit, tout recroquevillé et on peu prendre le soin d’évaluer la très courte distance qui rapproche inéluctablement le protagoniste d'un sort funeste. La dernière image propose un nouvel aperçu de sa force et de ses armes, patte puissante et griffes.
Encore un gros plan de la gueule , cette fois ci encore plus rapproché pour rendre la scène pus périlleuse , comme si c'était la fin du personnage et que l'Ours était de plus en plus proche, de plus ne plus effrayant. Il gratte encore le sol avec lourdeur et une puissance frappante pour finir par un dernier grondement de nouveau via le même plan large intervenu peu de temps avant.
Puis on termine sur une plongée qui connote l'état dans lequel dans se trouve le personnage: déstabilisé, choqué, perturbé, au bord de l’évanouissement et du malaise(suggéré par la dimension vertigineuse du plan).
Bon, l'Ours est aussi un film qui a marqué une génération entière et on ne compte plus les larmes versées devant. Une œuvre tout public certes mais universelle.Sans conteste un des meilleurs films du réalisateur et un des plus beaux films qui soient. En prime , la musique de Sarde est assez belle.
9/10