Le dernier métro
Un film de François Truffaut
8.5/10
Sans aucun doute, Le dernier métro représente pour François Truffaut la concrétisation de l’une de ses plus fortes envies de cinéaste : « En tournant Le dernier métro, j'ai voulu satisfaire trois désirs : montrer les coulisses d'un théâtre, évoquer l'ambiance de l'Occupation, donner à Catherine Deneuve un rôle de femme responsable ». Le film, se déroulant sous l’Occupation à Paris, retrace l’histoire du théâtre Montmartre à l’un de ses tournants : son dirigeant juif, Lucas Steiner, est en fuite et un nouvel acteur, Bernard Granger, arrive. Marion Steiner, la femme de l’ex-dirigeant, prend les commandes du théâtre pour mettre en place une nouvelle pièce. En réalité, Lucas n’a pas fuit et se réfugie dans les sous-sols du théâtre. Chaque soir, sa femme vient lui raconter les détails des répétitions afin que celui-ci la conseille pour améliorer la pièce.
Le dernier métro s’articule autour de thématiques chères au réalisateur français. Ayant vécu l’Occupation dans sa plus tendre jeunesse, François Truffaut désirait depuis longtemps réaliser un film qui aurait comme contexte cette terrible période qui vit tant de drames se dérouler. Le film use ainsi de ses circonstances pour développer une dramaturgie réelle, basée sur une approche pragmatique des personnages. Le théâtre Montmartre, fruit de toutes les rencontres, œuvre en tant qu’espace libre où chacun des protagonistes dispose d’une autorité qui lui est propre, voire indétrônable. Ce lieu permet alors à Truffaut d’y intégrer un autre élément symptomatique de son cinéma : la rencontre et l’évolution des sentiments. Bien sûr, la première rencontre dont le spectateur est témoin est celle de Bernard avec Arlette, dehors sur un trottoir. Mais celle-ci sera propulsée par le fruit du hasard et des circonstances : Arlette et Bernard joueront tous deux au théâtre Montmartre. Jeu de cache-cache incessant, le théâtre filmé par Truffaut lui permet d’instaurer une pudeur entre les différents personnages confrontés au régime nazi et à ses contraintes : la réalité saupoudre le mensonge, les regards se croisent dans des tragédies amoureuses fictives. Mais les sentiments jouissent d’un compromis sans équivoque et, rapidement, la vérité est d’avantage sur scène qu’en coulisse.
La puissance émotionnelle du film repose essentiellement sur le double-jeu, sublime, effectué par Marion. Au grand jour, elle est une triste veuve qui, tant bien que mal, continue l’exploitation difficile de son théâtre abandonné par l’absurdité d’un système acheté et intéressé. La nuit tombée, elle devient la confidente du pauvre Lucas contraint de vivre caché avec son talent de metteur en scène. Ces personnages sont pauvres, voire pathétiques, et leur union interdite devient rapidement la justification entière du récit : leur relation guidera les actes de la troupe tandis que l’exubérance des sentiments de Marion envers Bernard créera une touche émotionnelle supplémentaire par l’impossibilité de cet amour. Le double-jeu de Marion va, en jouant sur les malentendus, offrir au film des séquences sublimes où sentiments et mépris du tragique brilleront par leur éclatante sincérité.
Complice de la supercherie, le spectateur jouît d’une omniscience providentielle qui fait avancer le récit d’une manière très théâtrale où dialogues et mouvements dirigent le rythme, conformément à l’œuvre du cinéaste. Néanmoins, contrairement à celui du fameux Jules et Jim, le triangle amoureux que forment Bernard, Lucas et Marion brille par sa capacité et son harmonie : l’art du mensonge et de la cachoterie donne à leur amour l’estime et la puissance qui lui sont nécessaires. La séquence finale, qui voit Marion se saisir des mains de Pierre et de Lucas, amplifie ce fort sentiment d’accordance et d’optimisme.
On pourrait reprocher au film de souffrir d’un académisme un peu trop prononcé – chose très étonnante de la part de Truffaut. Très littéral, Le dernier métro semble parfois privilégier le déroulement de la fiction au profit du développement des sentiments et des émotions. En ce sens, le film, auréolé de dix césars en 1980, est peut-être le moins transgressif de son réalisateur. Mais on ne peut nier l’excellence de son traitement et la maitrise de son récit qui, une fois enclenché, ne cesse d’émouvoir le spectateur. Les prestations de Catherine Deneuve et Gérard Depardieu offrent au cinéma l’un de ses couples les plus attachants quand Jean Poiret et Heinz Bennent brillent par leur talent simple. Le dernier métro est animé par le désir, noble et authentique, de la reconnaissance.