Kingdom Of Heaven de Ridley Scott
(2005)
S'il y a bien un film que j'ai totalement redécouvert ces dernières années, c'est bien entendu
Kingdom Of Heaven. Pourtant, le souvenir de la première vision au cinéma était loin d'être bonne, avec la désagréable impression de voir un sous-
Gladiator (le film était vendu comme tel avant sa sortie) totalement charcuté dans son récit, un film beau certes mais finalement pas abouti aussi bien dans la forme que dans le fond. C'est donc avec un gros a priori que je revoyais le film dans sa version Director's Cut, une version souvent encensée par ceux qui ont eu la chance de la voir, et où le terme grand film revenait très souvent pour le qualifier. Et c'est bien en face d'un très grand film que l'on se trouve face à
Kingdom Of Heaven en version longue, j'oserais même pousser un peu plus loin en disant que le film est le film d'époque le plus réussi de ces vingt dernières années, qu'il est à classer sans aucune hésitation dans les cinq meilleurs films de Ridley Scott et surtout que
Kingdom Of Heaven n'est ni plus ni moins qu'un chef d’œuvre.
En s'intéressant aux Croisades, Scott prend une certaine distance vis à vis de
Gladiator, car là où ce dernier se noyait un peu trop dans un contexte politique qui laissait supposer une superposition avec la société américaine actuelle,
Kingdom Of Heaven offre réellement une vision extrêmement intéressante du conflit, de ses causes, de ses conséquences et des acteurs qui ont pu y prendre part. La meilleure idée de Scott est d'abord de traiter les Croisades via l'épisode où Baudouin, roi pacifique du Royaume de Jérusalem, agonisait face à un héritier voulant le pouvoir et le sang et face à Saladin, représentant iconique du peuple musulman souhaitant vengeance de la prise de Jérusalem un siècle plus tôt. Un épisode surprenant (sans aucun doute le plus intéressant de toutes les Croisades réunies, alors que beaucoup aurait plutôt choisi de traiter la Croisade lancée par Richard Cœur-de-Lion, Philippe-Auguste et Frédéric Barberousse, la plus connue historiquement) de quelques années riche en contradictions, en valeurs bafouées et en changement dans un contexte géo-politique pas forcément compréhensible au premier abord. La première force de
Kingdom Of Heaven est donc de proposer en près de trois heures de métrage une vision globale mais complète en tout point de ce conflit célèbre et pourtant finalement peu connu dans ses détails. Il suffit d'écouter les paroles du personnage de Liam Neeson sur la Terre Sainte (où un paysan peut devenir en quelques jours le seigneur d'une terre entière) pour être certain que Scott à finalement tout compris de son sujet, c'est donc entre des mains expertes que l'on suit l'histoire d'un forgeron qui se découvrira une nouvelle vie au Royaume de Jérusalem, lui qui avait tout perdu dans son village français. Une histoire romancée certes, avec les raccourcis scénaristiques qui vont avec (la conclusion de la tempête notamment) mais que Scott assume jusqu'au bout, préférant trahir un tant soit peu l'histoire d'origine pour offrir un récit plus épique et surtout plus intéressant en terme de fond.
Avec un casting à la fois prestigieux et talentueux (Liam Neeson, Jeremy Irons, Eva Green, Michael Sheen, Brendan Gleeson, David Thewlis et même Edward Norton dont on ne verra jamais le visage) mené par un Orlando Bloom qui n'a jamais été aussi sobre (il trouve sans aucun doute dans ce film son meilleur rôle), Scott impose une vision des Croisades magnifique sur le plan visuel, c'est bien simple, le film est une véritable tuerie en terme de photographie. Que ce soit les plans des plaines françaises à forte dominance bleutée ou encore l'arrivée de l'armée de Baudouin devant la forteresse de Kerak où les limites de la profondeur de champ sont transcendées,
Kingdom Of Heaven impressionne de par la beauté de ses cadres, Scott retrouve ici le sens de la beauté plastique que l'on pouvait apercevoir dans
Alien,
Blade Runner ou
The Duellists, il retrouve aussi son don de la mise en scène épique qui avait fait de
Gladiator le succès que l'on connaît aujourd'hui. Et si
Kingdom Of Heaven est bien plus avare en action que son aîné, c'est pour proposer de bien meilleures sous-intrigues, ainsi qu'une mise en scène virtuose sur des séquences qui sont certainement les plus maîtrisées de la carrière de Scott. Ainsi, le climax final, la confrontation pacifique entre deux armées dans le désert ou encore ce fabuleux duel à mort près d'une oasis (avec notamment un travelling circulaire de toute beauté) sont véritablement des moments qui impriment la rétine durablement. Et si Scott fait parfois preuve de plus de sobriété dans son film (notamment les dialogues entre Orlando Bloom et Eva Green), on se retrouve durant le générique de fin avec l'envie pressante de revoir le film à nouveau pour encore mieux l'apprécier. Film à grand spectacle diablement intelligent et magnifique en tout point (il faut d'ailleurs souligner la merveilleuse composition de Harry Gregson-Williams, épique et lyrique à souhait),
Kingdom Of Heaven est clairement l'une des apothéose du cinéma de Ridley Scott et du cinéma américain tout court. Les trois heures qui constituent le film passent à une vitesse folle, au point que l'on a véritablement envie de retourner devant ce qui est à ce jour le plus beau film jamais fait sur les Croisades. Un très très grand film qui se doit d'être jugé dans sa seule et unique version recommandable, sa Director's Cut. Pour ceux qui ne l'auraient encore pas vu, vous savez ce qui vous reste à faire.
NOTE : 9,5/10