Apocalypse Now |
réalisé par Francis Ford Coppola
avec Marlon Brando, Martin Sheen, Robert Duvall, Albert Hall, Laurence Fishburne, Sam Bottoms, Frederic Forrest, Dennis Hopper
Guerre, USA, 2h34 - 1979 |
9,5/10 |
Il est des films pour lesquels, il est difficile de trouver les mots, ainsi j’ai eu beaucoup de mal à organiser mes idées et mes impressions à propos d’
Apocalypse Now. Assurément un film envoutant, mais d’une fascination perturbante, à la limite du morbide, pour cette guerre filmée comme une symphonie, comme une œuvre d’art spectaculaire. Car c’est un peu cela que nous propose
Coppola : la guerre comme un spectacle. A l’exemple, de ce ballet d’hélicoptères et d’explosions sur les chœurs de
la Chevauchée des Walkyries de
Wagner. Le spectacle de l’Amérique en guerre dans toute sa démesure, pour laquelle l’odeur du napalm symbolise une victoire.
Mais Coppola semble nous dire, que la débauche d’argent et de moyens humains et matériels, sans valeurs à défendre, sans sentiment de légitimité, ne mènent que vers l’enlisement et la perdition. Le naufrage de la raison face à l’horreur des exactions, face à l’ennui et face à l’incompréhension d’une guerre sans but véritable. Le rock, le surf, l’alcool, les playmates, la drogue… deviennent les « valeurs refuges » de soldats désorientés. Des gamins avec des jouets mortels, voila ce que sont la plupart des soldats américains au Vietnam. Certains réalisateurs se sont attachés à montrer, l’enfer du Vietnam, les horreurs commises de chaque côté, d’autres le traumatisme des vétérans, Coppola filme aussi l’autre facette du Vietnam, celle du « paradis » des plaisirs artificiels et des trafics en tout genre.
Plus l’expédition remonte le fleuve, plus elle plonge dans l’inconnue. Les traces de la civilisation s’efface peu à peu, la nature devient de plus en plus luxuriante, oppressante, inquiétante, sauvage, à l’exemple de ce tigre qui surgit de nulle part. Les doutes, les interrogations, la noirceur, le désarroi progressent et assombrissent les pensées du Capitaine Willard et des soldats qui l’accompagne, perdus au cœur des ténèbres et dont le seul havre de « sécurité » est symbolisé par leur embarcation. Les brumes envahissent l’écran, le paysage s’efface et se mue en fantasmagorie parfois nimbée de rose, de jaune ou de bleu. Le spectateur se perd avec les personnages dans ce voyage sous hallucinogènes, dans ce trip psychédélique, jusqu’au point d’orgue : ce temple symbole de la société primitive fondée sur le culte du colonel Kurtz, devenu un père, voir un dieu pour son peuple sur lequel il a droit de vie et de mort. La barbarie submerge l’écran : corps mutilés et têtes décapitées exposés comme des trophées, putréfaction, bourbiers et pestilence. On comprend que cet homme a atteint le point de non retour dans la folie et que seule la mort pourra le libérer.
Le casting est tout simplement parfait, mais il est vrai que les acteurs ne jouent plus vraiment après 238 jours de tournages. Ils sont carrément devenus leurs personnages, complètement déstabilisés par la jungle et les conditions de tournage, par les incertitudes qui assaillent le réalisateur et pour certains par les drogues diverses et variées. Soudain surgit de l’ombre le visage de
Marlon Brando, on le devine plus qu’on ne le voit, ce qui procède au statut de quasi divinité de Kurtz, d’homme complexe et malade perdu dans ses réflexions. Une composition impressionnante, tout comme celle de Martin Sheen.
Un bémol de taille qui écarte la note parfaite pour ce film. Le temps semble suspendre son vol un peu trop longuement, le voyage sur le fleuve devient interminable. On comprend, en visionnant le documentaire « Hearts of Darkness » que Coppola s’est abîmé dans les méandres de la création artistique et ne parvenait pas à trouver une fin satisfaisante. Malheureusement, cela se ressent à l’écran.
Apocalypse Now est une vision hallucinante de l’Amérique en guerre, un voyage intérieur au plus profond de la part d’ombre qui peut détruire tout homme.