Portrait of Jennie (William Dieterle - 1948) 9/10
Un peintre désargenté, Eben Adams (Joseph Cotten) rencontre une enfant en déambulant dans Central Park, la jeune et espiègle Jennie (Jennifer Jones). "Attends-moi, lui demande-t-elle, je vais me dépêcher de grandir"... Cette rencontre inattendue et singulière entrainera une histoire d'amour fou, échevelée, irrationnelle, et tragique.Je précise, hélas, qu'il est difficile de parler de ce film sans en dévoiler, même un peu, l'intrigue, dont la découverte fait en grande partie le charme. Gros spoiler, donc, pour les amateurs de films romantiques à l'ancienne.
Un film au romantisme funèbreUne fille qui jaillit d'on ne sait oùAux cotés de films tels que
Pandora,
l'aventure de Madame Muir, ou
Peter Ibbetson,
Portrait of Jennie s'aventure dans le fantastique pour nous raconter une magnifique histoire d'amour qui défie le temps et la raison. Le personnage de Jennie, fantasque, est marqué du sceau de la tragédie, et séduit autant qu'elle inquiète le spectateur. Dès la première rencontre avec Joseph Cotten, on la trouve en larmes, et une sorte de prémonition funèbre plane sur son personnage.
En même temps, c'est un personnage très positif, fantasque, auquel il est difficile de ne pas s'attacher. Son mystère, lors des premières rencontres, se dissipe en sa présence, tant l'évidence de sa personnalité, sa chaleur et son enthousiasme, balaient toute soif de rationalité : il faut accepter les choses telles qu'elles sont. C'est d'ailleurs une fois que celle-ci tarde à se montrer que Joseph Cotten cherche des explications. En sa présence, on accepte tout, et c'est émouvant.
Les rencontres, les dialogues, touchent juste, et l'histoire d'amour nait d'échanges de plus en plus intimes, de plus en plus personnels. Le naturel avec lequel se déroule le récit révèle une écriture d'orfèvre. L'interprétation est au diapasion, Joseph Cotten a d'ailleurs reçu pour le film un prix d'interprétation au festival de Venise, et il s'agit peut-être du meilleur rôle de Jennifer Jones.
Une reflexion sur l'art et les fantômesUne histoire d'amour, et l'histoire d'un tableauPortrait of Jennie brasse également de nombreux thèmes. D'une certaine façon, il s'agit avant tout de l'histoire de la naissance d'un peintre, qu'on suit miséreux et sans le sou, dont on assiste à la reconnaissance, jusqu'à l'achèvement de son chef d'oeuvre exposé aux yeux d'un public ému.
Il est tout au long du film question de ce qu'un peintre met ou non dans son oeuvre, de ce qu'un amateur d'art trouve ou non dans une peinture, et l'usage de l'art est tout au long du film un des moteurs de l'action : un tableau annonce l'intrigue, et la conclut avec brio. Certains plans, notamment, sont filmés à travers une toile et cadrés comme des tableaux.
Le film est également baigné d'une musique omniprésente : une chanson (écrite par Bernard Herrmann et accompagnée du theremin, cet instrument magique) ponctue le film, et la musique de fond fusionne plusieurs titres de Debussy.
Un récit cosmique, qui laisse une empreinte durableLe Brooklyn Bridge figé par l'artPortrait of Jennie commence sans générique : une citation d'Euripides, une voix off annonce le titre du film, et nous y voila. C'est que le film a une vocation cosmique. La photographie du film, somptueuse, joue constamment sur une ambiance qui oscille entre le fantastique et le prosaïque. Dans les meilleurs moments, la photo est tout simplement admirable (Joseph August a d'ailleurs été oscarisé pour la lumière du film).
Le récit, ancré dans de nombreux décors réels, touche par son universalité, et la poésie de son approche. Le récit invoque le déroulement du temps et le déchainement des éléments, Dieu, l'Amour, l'Art. Ambitieuse, la démarche de Dieterle reste pour autant humble dans son approche, et l'on est frappé par la justesse de son approche (cette thématique de l'art qui entoure ses personnages est récurrente chez ce cinéaste).
Que l'on se rassure, cette inclusion d'éléments reflexifs ne freine jamais l'action, bien au contraire...
Bref, si l'on omet une fin légèrement gachée par quelques effets de maquette qui ne convainquent plus le spectateur actuel, on touche au sans faute. Le film est d'ailleurs un des films préférés de Luis Bunuel, autorité parmi les surréalistes s'il en est. Pour moi, le grand choc du mois de février dernier, et un film qui gagne à être connu...
Sauf pour Scalp