Enter The Void de Gaspar Noé
(2010)
Huit ans, c'est le temps qu'il aura fallu à Gaspar Noé pour achever totalement son troisième long-métrage et le présenter au grand public. Après un tournage pourtant rapide et une post-production chaotique qui durera plusieurs années,
Enter The Void se sera fait attendre, entre les premières images qui apparaîtront deux ans avant la première cannoise où le film sera présenté dans une version non-finalisée à la manière de ce qu'avait pu faire Wong Kar-Waï avec son
2046, ce n'est qu'un an plus tard que, finalement,
Enter The Void sortira sur les écrans, dévoilant une expérience hors du commun où un certain perfectionnisme digne d'un Terrence Malick se fait sentir à chaque plan. Une expérience qui, comme on aurait pu s'en douter, ne rencontrera finalement pas le succès, le film ayant été très mal distribué sur le sol français, démonté par les pisse-froids de la critique (Télérama et les Cahiers en tête), incompris par le grand public qui n'a toujours pas compris que le cinéma est un Art et, enfin, snobé par l'Académie des Césars, faisant définitivement de Gaspar Noé le vilain petit canard du cinéma français. Pourtant, malgré cet accueil indigne du film, il est bon de souligner que, un an après sa sortie en salles,
Enter The Void est déjà perçu comme une référence cinématographique, se faisant une forte réputation au sein des milieux cinéphiles, étant classé en haute position des films préférés de certains grands cinéastes (Quentin Tarantino et Guillermo Del Toro pour ne citer qu'eux) mais aussi en étant une référence visuelle qui influence déjà le milieu du clip par exemple. Avec
Enter The Void, Gaspar Noé signe une œuvre gigantesque, un véritable OVNI cinématographique (qui provoquera par ailleurs l'une des séances de cinéma les plus mémorables de ma vie), un film qui, à l'instar de
2001, A Space Odyssey, risque fort de devenir une œuvre culte.
Car avec
Enter The Void, Gaspar Noé continue une certaine expérimentation de la création narrative, une expérimentation commencée doucement avec
Irréversible et qui atteint brusquement son paroxysme avec le véritable trip (The Ultimate Trip annonçait déjà l'affiche de
2001 visible dans la scène finale d'
Irréversible) proposé en guise de troisième long-métrage. Car oui,
Enter The Void est un trip visuel et auditif, voire même sensitif, mais cela n'empêche pas Noé de raconter à travers ce même trip une histoire belle, glauque, poétique, écrite avec du sang et du sperme, une histoire telle que seul Gaspar Noé est capable de nous en raconter. L'histoire d'un jeune homme (ou plutôt de son esprit) qui, à travers la mort, vagabondera à travers ses rêves, cauchemars, souvenirs et visions futures afin d'accomplir un rite décrit en début de métrage. La première surprise du film vient du fait que l'on ne tombe jamais dans le spiritualisme à outrance (comme avait pu le faire Jan Kounen sur le final de
Blueberry) et que l'on reste dans une forme de récit dense mais accessible. Cherchant à économiser le temps de dialogues,
Enter The Void est un film qui se comprend tout simplement, même s'il était totalement muet, ce qui renforce d'autant le caractère extrêmement sensitif de l'œuvre de Noé. Mais
Enter The Void est surtout le moyen pour Noé d'expérimenter bien plus le caractère omniscient de sa caméra. Ainsi, même si scénaristiquement parlant le point de vue du film reste toujours subjectif, la caméra vogue au gré des envies de son cinéaste, partant d'une petite ruelle pour entrer brusquement dans un avion de ligne en vol, voyageant de chambre en chambre pour épier les ébats amoureux dans un hôtel de passage ou encore effectuer des changements de focales d'une beauté qui en hypnotisera plus d'un.
C'est d'ailleurs là l'un des tours de force de Noé, celui de nous hypnotiser durant près de 2 heures 30, arrivant à faire croire à son propre spectateur qu'il est lui-même sous acides durant la projection. D'un générique génial (le plus original vu depuis des décennies sur un écran de cinéma) jusqu'à une autre vision de la création de la vie en passant par des visions cauchemardesques qu'aucun enfant ne devrait vivre un jour,
Enter The Void est un film qui ne se raconte pas, tant il se vit intégralement de bout en bout. Profitant en plus d'une bande-son extrêmement soignée (signée Thomas Bangalter) où le moindre petit son a autant d'importance qu'une musique intégrale, et d'un casting au diapason emporté gracieusement par la superbe Paz De La Huerta, il est vraiment difficile de reprocher quoi que ce soit à l'œuvre de Noé à partir du moment où l'on considère un minimum que le cinéma est aussi une question d'ouverture de l'esprit. Et même si la longueur un poil excessive du film pourra en rebuter certains, il serait toutefois dommage de passer à côté d'un tel film, véritable porte-étendard d'un cinéma qui se cherche et qui se déclare toujours en constante évolution, un véritable doigt d'honneur lancé à un cinéma mondial qui se contente généralement de stagner sur le fond et sur la forme. Pas de doute, si
Enter The Void est bien moins viscéral qu'
Irréversible en apparence, il n'en est pas moins très provoquant dans le message qu'il clame haut et fort. En cela,
Enter The Void est un film qui se doit d'être vu. Chapeau bas M. Noé.
NOTE : 9,5/10