NEVER LET ME GO
Rarement vu film aussi subtil avec un mélange prétexte d'uchronie minimaliste où tout est dévoilé par des émotions et un sous-texte d'une finesse d'écriture inégalée.
Les clones (on entend ce mot qu’une fois dans le film d'ailleurs) sont parqués dans une grande école, un centre retiré du monde où les âmes condamnées vivent sous le doux parfum champêtre d'un lieu où nichent les souvenirs d'une vie courte et au sens ambigu.
Ils sont conscients, parfaitement identiques biologiquement et psychiquement aux autres et leurs vies au centre est à la fois épanouissante et frôle parfois le totalitarisme.
"Prisonniers" peinant quelques années et ayant pour seul et unique but de servir de cobaye pour la médecine ; plus précisément le don d'organe et:ou accompagnateur avant de devenir donneur.
Le film est triste, mélancolique, les couleurs sont ternes, l'ambiance musicale flirte avec la grâce, la douceur, la monotonie et une pureté enivrante. La mise en scène est académique mais soucieuse du moindre détail , de la moindre émotion et du moindre souffle.
L'histoire camoufle évidemment très bien son côté uchronie (rien n'est clairement dit à propos des clones et le seul élément rétro-futuriste c'est un bloc sur le mur où le gamins passent leur poignet muni d'un bracelet devant) et les personnages sont au centre du récit. Un trio amoureux à la vie raccourcie par leur "utilisation" douteuse et très discutable. On apprend qu'ils sont issus d'une certaine partie de la population: les tueurs, drogués, etc.. tous les inadaptés de ce monde stigmatisés servent au clonage. Au lieu de se focaliser sur un scénario linéaire et classique du genre où les clone se rebelleraient et tenteraient de comprendre pourquoi l'Homme agit ainsi avec un niveau de lecteur encore une fois dénonciateur sur les dérivés scientifiques et technologiques, le scénariste (enfin l'écrivain puisque c'est un roman à la base) s'évite tout cela et reste concentrer sur l'aspect humain des "entités" déconnectés d'un monde qu'elles ne connaitront jamais réellement.
Malgré tout, les professeurs du centre ne sont pas déshumanisés: c'est surtout l'Art dans sa globalité qui est inculqué aux élèves. On cherche leur âme, on cherche tente de développer leur inspiration et de les laisser aller. C'est survolé mais c'est bien présent dans le film le rapport humain aux Arts : exprimer sa créativité , c'est exposer son âme aux autres.
Les trois acteurs principaux (mêmes le gamins du début) sont exceptionnels , tous habités par leurs personnages mais c'est vraiment Keira Knightley qui impressionne et surprend (quoique les films de Joe Wright le prouvait déjà) par son charisme et son regard mêlant à la fois la fragilité, le caractère, la malice..Andrew Garfield et sa candeur naturelle n'ont plus rien à prouver.
Le trio brise déchire le cœur. L’émotion atteint un niveau tel que le long-métrage entier bouleverse par ce reflet pâle et flou de nos propres vies que l'on considère brèves, avec un temps qui défile bien trop vite pour nous permettre de trouver le salut. Tragédie poétiquement dépressive et désabusée sur quelques vies innocentes à la recherche d'un passé, d'un présent et d'un avenir qui leur est refusé. Mise en abyme de nos propres vies en même temps qu'uchronie subtile sur le thème des clones.
Scindé en 3 parties, le film conte aussi le passage à l'âge adulte (succin) de trois enfants insouciant et ignorant leur statut jusqu’à l'arrivée d'un nouveau professeur qui ne peut s'empêcher de tout leur dire de visu par humanisme et altruisme : une des meilleurs scènes du film. Les enfants restent muets. Le regard vide et l'un d'eux se lève pour ramasser une feuille tombée au sol. L'innocence face à la réalité: l'incompréhension et le rejet.
Les clones sont donc comme nous et peuvent aimer. C'est d'ailleurs une course à l’amour et à la découverte de soi et du plaisir charnel.
Monologue de fermeture d'une lucidité et d'un fatalisme brisant qui laisse pantois quant à la qualité d'écriture
9/10